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L’ESTURGEON

dant une exception chez les lépidostés qui ont, comme certains amphibies, les vertèbres convexes en avant, concaves en arrière.

« Chez les ganoïdes osseux, le crâne primordial est plus ou moins complètement refoulé par le crâne osseux. Les autres ganoïdes ont le crâne cartilagineux avec intercalation de parties osseuses, de telle sorte qu’il est fort difficile de dire ce qui appartient au squelette primitif, ce qui fait partie du crâne proprement dit ou ce qui doit être rapporté au squelette dermique.

« De même que les poissons osseux, les lépidostés ont des rayons branchiostèges, c’est-à-dire de ces rayons qui soutiennent la membrane des branchies ; chez l’amia, ces rayons sont en rapport avec une grande plaque osseuse qui couvre une partie de la gorge ; les rayons branchiostèges font défaut chez les esturgeons et les spatulaires ou polyodons ; chez le polyptère, par une exception unique chez les poissons actuels, dans la membrane branchiostège se trouvent de grandes pièces osseuses émaillées, semblables aux os du crâne, pièces qui s’opposent à la mobilité du battant operculaire.

« J. Muller, d’après l’état du squelette, divise en ganoïdes ces deux grands groupes, les ganoïdes osseux ou holostés et les ganoïdes cartilagineux ou chondrostés. C’est également la classification que suit Auguste Duméril, qui admet, pour les ganoïdes actuels, les seuls dont il s’occupe, les familles des sturioniens (esturgeons scaphirhynques), des polyodontidés (polyodons ou spatulaires), des lépidostéidés (lépidosté), des polyptéridés (polyptère calamoïchthys), des amiadés (amia). »

Ainsi, des sept cents espèces de ganoïdes dont on a recueilli les débris en ouvrant au pic et à la mine le reliquaire du globe terrestre, il n’en reste plus que l’esturgeon, le lépidosté osseux et l’amia, tous trois familiers des eaux du Canada. Au point de vue économique, le lépidosté osseux, connu sous le nom de poisson armé, est plutôt nuisible qu’utile ; on le dit bon à manger, mais personne n’en mange. Quand on a maille sur lui on le tient ferme, comme si l’on tenait un malfaiteur au collet, et ce n’est pas sans raison. Faisant fi de sa chair, ne visant qu’à sa peau imbriquée, à son bec fantastique, vite on l’empaille pour en décorer nos musées, ou le suspendre au plafond de l’antre de quelque tireuse de cartes des faubourgs de nos grandes villes, ouvreuse désœuvrée du théâtre des sorciers fermé par le bon sens. Avant qu’il soit longtemps l’amia ou poisson-castor, réfugié dans les boues de la rive sud du lac Saint-Pierre, aura à peu près le même sort. L’esturgeon restera seul, le seul valant bon, mais bon de tout son poids, par exemple, bon de toutes les parcelles de son corps, bon comme aucun animal ne l’est peut-être.