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LES POISSONS

« Tels citoyens de Sherbrooke, Sorel, Montréal, Beauharnois et Ottawa, qui savourent le petit-poisson des Trois-Rivières, n’ont aucune idée des choses que je viens de raconter — et par conséquent, leur jouissance n’est pas complète !

« J’ai souvent entendu le nom de loche appliqué au petit-poisson, mais ceci est incorrect. La loche abonde autour des Trois-Rivières. C’est un poisson tout autre que celui qui m’occupe en ce moment. Ni la chair ni la forme des deux ne se ressemblent. Sous le rapport de la taille, l’un est triple de l’autre quand il a atteint toute sa croissance. Il ne se pêche pas de la même manière. Pour prendre la loche, on coupe la glace par trous, à une verge de distance les uns des autres, dans le sens du cours d’eau. Une corde, à laquelle sont suspendues de courtes lignes garnies d’hameçons, est enfilée sous l’eau, de la première ouverture à la dernière, et ses deux bouts, réunis par-dessus la glace, forment une chaîne sans fin. Le poisson approche de la lumière du jour qui brille par les trous, voit les appâts, mord et se trouve pris. De deux heures en deux heures, un homme ou un enfant relève la corde en la faisant glisser comme une courroie sur des poulies ; au fur et à mesure que le poisson se présente au bout des lignes, on le décroche, et l’on pose un appât nouveau pour une nouvelle victime. La loche est excellente à manger, surtout si elle est frappée par la gelée en sortant de l’eau. Celle que l’on prend l’été ne vaut guère.

« Avez-vous remarqué, lecteur, que je me sers dans cet article du terme petit-poisson, au lieu d’employer un nom reconnu, comme cela se fait pour toutes les espèces de poissons ?

« À vrai dire, c’est de la morue naine.

« Les Trifluviens disent petit-poisson, parce qu’il n’y a encore que ce mot d’adopté en français pour le désigner. Il n’a pas été étudié. Les hommes de science ne l’ont pas baptisé. Notre public français en général le nomme petite-morue ; les Anglais disent tom ou tommy-cod, soit, morue naine.

« Il faudrait d’abord constater que c’est de la morue ordinaire, et je défie les savants de prouver cela ! La chair des deux n’a pas tout à fait la même consistance ; le goût en est différent.

« Si le petit-poisson était enfant de la morue, il ne viendrait pas frayer chez nous, en eau douce. Puis il ne resterait pas toujours petit : il finirait par se confondre avec ses grands parents, et ne sortirait plus des royaumes de l’Océan, comme on disait autrefois.

« Les petits chevaux des Shetland ne sont pas des grands chevaux.

« Petit poisson deviendra grand, si Dieu lui prête vie », d’après le proverbe. Le petit-poisson des Trois-Rivières n’entend pas de cette