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LES POISSONS

« À partir de Deschambault, le petit-poisson serre ses rangs, prend le fil de l’eau le plus doux, pousse de l’avant à petites journées, et ne s’écarte pas des « bordages » du nord. Les pêcheurs de Batiscan et de Champlain l’attaquent avec des moyens proportionnés à l’abondance de cette récolte. Cependant, il faut aller aux Trois-Rivières pour voir porter les grands coups.

« Une minute de digression, s’il vous plaît. Je vous demanderai d’où viennent les morues, les harengs, les sardines.

« Chacun sait qu’ils sortent des profondeurs de l’Océan et s’approchent de nos rivages une fois par année. Leurs divers habitats peuvent avoir varié avec les âges géologiques ; depuis plusieurs siècles, toutefois, ils n’ont pas changé, et leurs migrations non plus.

« Ce qui est certain, c’est le mouvement à longue portée de ces peuplades lointaines, qui, en abordant nos parages, détachent des essaims vers l’embouchure de nos fleuves et de nos rivières lorsqu’arrive le temps du frai. Le développement des œufs dans le corps de l’animal lui fouette le sang. Il se met en devoir de combattre l’apoplexie par l’activité de tout son être. En conséquence, ses œufs seront confiés aux sables d’une plage très éloignée du point de départ.

« Le petit-poisson passe à Terre-Neuve et entre dans le Saint-Laurent, comme je l’ai dit. Il longe les bords de ce chemin royal. Tant que le flot descend, lui le remonte. Quand la marée repousse le courant, il la suit et se repose, montant toujours. Ira-t-il loin ? Aussi loin qu’il éprouvera la résistance de la marée contre le courant naturel du fleuve. Ce jeu des forces de l’eau s’arrête au lac Saint-Pierre. Le petit-poisson, gonflé d’œufs, harassé de sa longue traite, entre dans les Trois-Rivières.

« Avant que de se nommer le Saint-Maurice, cette rivière portait le nom de « rivière des Trois-Rivières, » à cause des îles qui divisent son embouchure en trois branches.

« Le petit-poisson ne connaît que les deux chenaux les plus proches du Cap de la Madeleine. Il s’y engage avec ardeur. La fin de son ascension approche ; les œufs sont larges et deviennent inquiétants.

« Ici l’homme guette la bête.

« Le pêcheur établit un cabanage sur la glace ; il y couche ; il y mange. Il tranche une ouverture qui a la forme d’un carré allongé, mesurant dix pieds dans sa longueur. Par cette bouche, il enfonce en plein courant ce qu’il appelle un « coffre, » sorte de grande boîte formée de rets tendus sur une mince carcasse de bois. L’appareil est ouvert par le bout qui doit recevoir le poisson. Celui-ci, rebroussant le fil de l’eau, en masses très pressées, s’engouffre sans hésitation dans le sac et s’y entasse, faute de trouver passage plus loin.