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LA PETITE-MORUE

heure ! c’est facile — mais, décrire le petit-poisson des Trois-Rivières, rude tâche !

« J’invoque ici, ô muse ! vos antiques complaisances pour les auteurs audacieux. La fortune, dit-on, favorise les braves — regardez-moi d’un œil encourageant, et je tenterai de décrire cette pêche quasi-miraculeuse dont les Trifluviens se donnent le spectacle, entre Noël et les Rois. Faites, ô déesse ! que mon imagination se soumette à la stricte loi de la vérité, afin que personne ne puisse infirmer le témoignage que je vais rendre en faveur des tendres individus que nous accommodons à tant de si bonnes sauces.

« Il arrive, ce poisson, avec les réjouissances du jour de l’an. Il a sa place dans l’histoire de nos mœurs et coutumes. Déjà, en 1757, le célèbre Bougainville le mentionnait. S’il ne se fait pas valoir dans la littérature, c’est qu’il est muet comme doit l’être un poisson. À nous de parler de lui ! Que de gens il a régalés qui n’ont jamais songé à faire son éloge, ou même à se demander s’il descendait de noble ou de vulgaire lignée ! Je vous le présente. Tout me porte à croire qu’un aimable commerce s’établira entre vous et lui.

« Suppléons un peu à l’absence de renseignements sur son compte puisque les savants ne l’étudient pas et que les journaux se contentent d’en annoncer la venue, comme celle de tout nomade intéressant. Une marchandise, disent-ils, et voilà tout… Les malheureux !

« L’automne de chaque année, sur les rivages de Rimouski, le petit-poisson arrive de la mer par véritables bancs. Il passe à la Rivière-Ouelle et à la Rivière-du-Loup, comme à la Malbaie et à la Baie-Saint-Paul. Dans ces endroits, on le pêche à la ligne. Il s’en égare quelques-uns à travers les barrages construits près de terre pour prendre de plus forts individus. Le groupe principal, l’armée, si vous voulez, continue sa marche en amont du fleuve.

« Au mois de décembre, Québec le voit arriver dans ses eaux. Là aussi on le prend à la ligne. Les amateurs ouvrent la couche de glace qui borde le fleuve en cette saison, et y plongent leurs engins. Un par un, le poisson est amené jusqu’à la poêle à frire.

« La côte nord du fleuve commence alors à fourmiller de petites bandes, lesquelles se tiennent immédiatement dessous la glace, comme si la fatigue du voyage obligeait ces habiles nageurs à laisser de plus en plus les couches d’en bas, et à flotter sur une eau plus dormante, car il est remarquable que si vous pratiquez un trou dans la glace vous n’y sentez presque pas le courant.

« Les riverains du fleuve font une guerre d’extermination à ces visiteurs affriolants, sans se demander quelle contrée les a vus naître, où ils vont, ce qu’ils cherchent.