LE MALACHIGAN
J’ai vu souvent des malachigans morts, sur le marché d’Ottawa, au fond d’embarcations de pêcheurs, j’en ai vu de vingt-cinq à trente livres ; mais une seule fois il m’est arrivé d’assister à la capture de l’un de ces poissons, et j’en ai trouvé l’exercice assez mouvementé pour qu’il vaille la peine d’en faire la description. C’était en 1894, à Papineauville, joli village bâti sur une des nombreuses indentures qui frangent le bas de l’Ottawa, le pied dans des sables mouvants, le corps allongé sur une colline, la tête reposant sur un oreiller de rochers ombragés de pins séculaires.
Passant l’été en famille à cet endroit, j’y avais donné rendez-vous de
pêche à deux amateurs renforcés, deux vieux amis, le cœur sur la main
et plein la main, Joseph Marmette, romancier, et Alphonse Benoît, du
ministère de la milice, et pour cela peut-être, le plus pacifique, le plus
aimable des hommes. Ils arrivèrent tous deux le 24 mai, le jour de la
fête de la reine, sous un soleil fondant du plomb, ce qui ne nous
empêcha pas de nous atteler aux rames pour gagner le fond de la baie,
un trajet de plus de trois milles en eau morte, un travail de forçat, vrai, vous dis-je !