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LES POISSONS

que de prendre le chabot à la ligne ; le moindre petit morceau de ver rouge suffit pour cela ; mais dans les ruisseaux des montagnes où il existe parfois en grande quantité, le meilleur mode de pêche consiste à barrer le cours d’eau avec un filet, et à remonter le courant en remuant avec des branchages les pierres du fond ; délogé de son embuscade le petit poisson vient se réfugier dans le filet. On le prend encore à la fourchette. « Tous les enfants ont fait cette pêche dans les ruisseaux à eaux vives et peu profondes. Elle consiste à emmancher une vieille fourchette de fer au bout d’un petit bâton, à affiler les dents de la fourchette sur une pierre, puis ce trident improvisé à la main, à entrer dans l’eau jusqu’aux genoux. Les jeunes pêcheurs se mettent en ligne en remontant doucement le fil de l’eau, et chacun devant soi retourne les petites pierres. Un chabot jaillit comme une flèche, mais il s’est remis sous une pierre voisine ; l’enfant voit une large tête, deux gros yeux dépassent la pierre… un coup de fourchette traverse le monstre, qui vient en gigotant tenir compagnie à quelques douzaines d’autres destinés à une friture ou à garnir les lignes de fond que le père des petits pêcheurs veut tendre le soir. »

Après être passé inaperçu au Canada, pendant des années, des siècles même, le chabot prendra rang parmi nos poissons utiles, dès que nous pratiquerons la pisciculture en grand, ce qui ne saurait tarder, avec l’énergie qui s’accuse dans le sens de cette industrie comparativement nouvelle. Pour engraisser des bestiaux, nous avons recours aux grains, aux céréales, aux légumes, aux plantes fourragères ; de même pour nourrir et engraisser des poissons il nous faut de la chair, beaucoup de chair, du sang, des entrailles d’animaux, et du menu fretin, de la blanchaille, des insectes de tout genre, des fruits, des plantes aquatiques, que sais-je encore ? Aussi, vous dis-je que du jour peu éloigné où nous ferons l’élevage du poisson en grand dans notre parc national, dans les cantons de l’Est, au Labrador et dans la presqu’île gaspésienne, le chabot prendra une importance assez appréciable pour me faire pardonner alors de l’avoir présenté à des lecteurs qui le jugent peut-être présentement indigne de leur attention.