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LES POISSONS

« Notre vieil ichtyologiste, Rondelet, s’exprime en ces termes au sujet des chabots : « Ils ont la chair molle, assez bonne au goût et qui n’est pas à mépriser. » Dans les Alpes-Maritimes, on est loin de la dédaigner. Rissot rapporte que « ce poisson, dont la chair est agréable, fournit un mets délicat aux habitants des montagnes. » On pratique la pêche du chabot en divers endroits (en Europe, bien entendu), mais c’est le plus ordinairement dans le but de se servir de ce poisson pour prendre les anguilles. Les pêcheurs, en effet, assurent que les anguilles donnent la préférence aux chabots, après les goujons, sur tous les autres appâts. « Le marché de Munich est très souvent approvisionné de chabots, dit M. de Siebold, à la grande satisfaction des pêcheurs d’anguilles. »

C’est comme esche et comme appât que je donne ici place à cet infiniment petit poisson qui ne deviendra jamais grand, mais qui peut aider considérablement à nourrir, attirer, surprendre et capturer de forts et grands poissons.

Personne n’en a mieux parlé que Émile Blanchard, dans son livre les Merveilles de la nature, lorsqu’il écrit :

« Ce petit poisson, qui, dans ses plus belles proportions, ne dépasse guère la taille de 0m,12 à 0m,14, est commun à peu près dans tous les cours d’eau vive dont le fond est parsemé de pierres et de gravier. Sa forme étrange, due principalement à la grosseur énorme de sa tête ; sa peau nue, molle, un peu visqueuse ; la couleur grisâtre de son corps, élégamment rehaussée de bandes et de taches irrégulières d’un brun foncé ; ses nageoires marquées d’annulations de cette dernière nuance, lui donnent un aspect particulier et le signalent à l’attention.

« Le volume de la tête étant ici le caractère le plus frappant du poisson, les dénominations vulgaires rappellent pour la plupart ce caractère. Le nom de chapot ou de cabot remet en mémoire notre vieux mot français caboche, mais les altérations manquent rarement de modifier les noms, au point même de masquer leur origine. »

Depuis sa forte tête aplatie à la crapaudine, jusqu’à la queue, le corps du chabot s’amincit graduellement, et gracieusement pourrait-on dire, par la régularité de lignes frappées dans le contour de nuances et de couleurs harmonieusement diversifiées et ménagées ; par les nageoires pectorales, dorsales et caudale tissées à la façon de fines dentelles, ressemblant à des ailes d’oiseau, gazées parfois comme des ailes de libellule.

Tout petit qu’il soit, le chabot est pourvu d’une large bouche, et ses mâchoires sont tapissées de dents en velours rangées en bandes vers l’abime d’un gosier insatiable. L’opercule lisse armé d’une pointe plate cachée sous la peau, comme un poignard dans sa gaîne, est un faible moyen de défense contre ses puissants ennemis. Aussi a-t-il recours à