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LES POISSONS

une ligne irrégulière dans toute son étendue ; les nageoires pectorales sont ovalaires ; les ventrales, très longues ; enfin, la caudale est taillée en forme de croissant.

Chez l’apron, les ovaires sont régulièrement développés et les œufs ont une grosseur supérieure à ceux de la perche, malgré sa petite taille qui atteint rarement huit pouces de longueur.

L’apron mord aux vers et aux insectes, en eau trouble aussi bien qu’en eau claire. Enfant, je l’ai pêché avec succès au moyen d’un fil armé d’une épingle recourbée. Capricieux, il mord à ses heures ; il s’avance par saccades vers l’esche qui le tente, s’en tient à une certaine distance ; mais si vous faites mine de la retirer, il s’en rapproche d’un mouvement rapide, et quelquefois la saisit et la secoue violemment. Dès qu’il est enferré il n’oppose aucune résistance.

D’après la description que fait Blanchard de ce petit poisson, l’apron de France et celui du Canada ne diffèrent aucunement entre eux. « L’apron se tient, dit-il, au fond de l’eau et ne nage guère en pleine rivière que par les mauvais temps, lorsque soufflent les vents du nord et de l’ouest, alors que les autres poissons se retirent dans les profondeurs. Cette circonstance a amené les pêcheurs de plusieurs localités à regarder l’apron comme le poisson maudit et ils s’en sont vengés en l’appelant le sorcier. »

La raison de la malchance des pêcheurs en ces cas-là était facilement explicable, puisqu’ils ne prennent dans leurs filets que les poissons voyageurs ou en maraude, et qu’en ces jours venteux les gros poissons se retirent dans les bas-fonds comme de bons bourgeois en temps d’orage restent au coin du feu, et que seuls les pauvres aprons, à l’instar de mendiants que la faim presse, ont le courage de se mettre en route.

Au-dessus de Montréal, on désigne l’apron sous le nom de garrocher parce qu’il vit dans des endroits caillouteux. Au-dessous de Québeç, on le prend assez souvent pour un brocheton, avec lequel pourtant il n’a pas le moindre point de ressemblance ; d’autres en font un doré ; enfin, sur l’Ottawa, on l’appelle rase-vase à cause de son habitude de se tenir au fond de l’eau.