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LE BARS

ailleurs et surtout dans l’océan Pacifique. Si un tel mouvement allait se répéter prochainement dans nos eaux, nous n’aurions qu’à nous en réjouir parce qu’il hâterait le retour du bars et favoriserait particulièrement sa multiplication sous la protection d’une loi sévère de prohibition.

Est-ce à dire que la famille des bars qui peuplaient jadis le fleuve Saint-Laurent depuis l’Islet jusqu’à Sorel est détruite, anéantie ? Non : elle est dispersée par groupes, sur de nouveaux fonds encore ignorés de leurs persécuteurs. Que ces derniers disparaissent et vous verrez les exilés revenir au gîte, dans ces parages fleuris d’îles, sur ces longues battures où foisonne la sardine argentée, battures de vase ou de sable, douces au pied, qui s’étendent comme un tapis au bas des côtes de Lévis, Beaumont, Berthier, Montmagny, Saint-Ignace et l’Islet. Croyez qu’ils hivernent encore en grand nombre dans des fosses voisines pendant que d’autres remontent jusqu’aux platins de sable du lac Saint-Pierre, où ils trouvent, sous le couvert des glaces, du menu fretin appétissant, du frai de petite morue et une douce quiétude pour leur repos hivernal. Il est certain que le bars hiverne et fraie dans les eaux douces ou saumâtres. Dès que la température baisse à l’automne ils descendent dans des bas-fonds ou remontent des rivières comme pour y passer l’hiver, loin des flots exposés aux courants et aux tempêtes où ils se complaisent durant la belle saison. Ils n’y conservent pas toute leur vivacité des beaux jours, mais rarement ils s’y laisseront engourdir par le froid. Dans les rivières du Nouveau-Brunswick, il s’en prenait autrefois de grandes quantités au harpon, sous les glaces. C’est au filet qu’on les capture au lac Saint-Pierre, et c’est une preuve qu’ils ont conservé la faculté de se mouvoir et de rôder. Cependant, M. Genio C. Scott rapporte que les étangs formés par le débordement des eaux de la rivière Seconnet, dans le Rhode-Island, se trouvèrent, une année, tellement remplis de bars qu’on les y découvrit pris et gelés, par leurs nageoires dorsales qui dépassaient la surface de la glace. Des faits de ce genre se présentent rarement, et ne s’expliquent que par un accident qui aura acculé un banc entier dans un coin où ils se sont tassés au point de s’étouffer et de gêner leurs mouvements jusqu’à la paralysie que le froid a complétée par la mort.

Un fait important à noter pour le Canada en général, et pour la province de Québec en particulier, c’est que le bars peut être confiné en eau douce, sans accès aux eaux saumâtres, y vivre à l’aise, s’y reproduire et même y améliorer sensiblement ses qualités comestibles déjà si remarquables. On réussit aussi à le cultiver et le reproduire artificiellement. En mai 1879, le major Ferguson, d’Albermale Sound, obtint la fécondation et l’éclosion de plusieurs milliers d’œufs. Ces œufs étaient plus petits que des œufs d’alose, mais après la fécondation ils augmen-