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LES POISSONS

que la famille du lac Ontario entretenait des relations suivies avec les vieux parents vivant à la mer. On a vu ces saumons remonter la rivière Ottawa, tenter même d’y créer une colonie. Les saumons ont quitté le lac Ontario, parce qu’on a pollué les eaux où ils frayaient, parce qu’on a détruit les ombrages étendus en parasol nuancé de mille couleurs, au-dessus de leur lit nuptial automnal des Laurentides ; parce que leurs petits étaient menacés de naître dans un tombeau.

Il se prend du bars à l’embouchure de plusieurs rivières tributaires du golfe Saint-Laurent, mais il affectionne particulièrement les eaux saumâtres comprises entre les battures du Loup-Marin, dans le comté de l’Islet et le cap Tourmente, ce Prométhée dont la Grosse-Île est une larme figée dans l’eau. C’est là que se cantonnent les sileux de dix à quinze livres, et de plus gros encore se rencontrent à l’arrière-garde des battures du Loup-Marin. Il diminue de taille jusqu’à Québec où il mesure à peine six ou huit pouces, lorsque nous le pêchons à l’automne, à l’orée de la petite rivière Mézerai et du haut des quais du port de la ville même, sous le couvert des premières glaces. Des bars de deux à quatre livres, quelquefois plus gros encore, vont hiverner dans le lac Saint-Pierre, et à Trois-Rivières jamais on ne manque de bars frais, en hiver.

Au printemps, dès que le grand chariot des glaces est disparu dans la direction du golfe, en aval de Québec, les habitants de la Côte-du-Sud, tous plus ou moins pêcheurs par tradition, depuis Beaumont jusqu’au cap Saint-Ignace, se hâtent de tendre leurs pêches ou parcs en clayonnage, disposés en équerre, dont le grand côté mesure de huit à dix arpents, et le petit côté, appelé queue de la pêche, quatre ou cinq arpents.

À la haute mer, le bars se rapproche des côtes, en quête de coquillages et de racines, sa seule ressource à cette saison de l’année. Pendant qu’il se repaît, la mer baisse, et il recule lentement avec elle jusqu’à ce qu’il se trouve arrêté par la barrière du parc ; il finit par s’entasser dans le franc coin de l’équerre où on le prend facilement à la main. Les frais d’installation d’une pêche se payaient autrefois dans une seule marée. Car il n’était pas rare de compter cinq à six cents pièces ainsi capturées d’un même coup. Le bars se vend sur place de quatre à cinq centins la livre.

Cette abondance dure au plus quinze jours. Passé ce temps et jusqu’au mois d’août, les pêches sont négligées. Il n’y rentre plus que du menu fretin, des petits esturgeons mêlés de quelques mulets dits poissons blancs. Durant sa descente à la mer, le bars ne mord à aucune esche.

Mais voici venir le mois d’août : les pêches ébrèchées sont restaurées, les chaloupes gréées, et chacun prépare ses lignes. Déjà la sardine bouille sur la batture, à travers les herbes marines : encore quelques jours et elle