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LES POISSONS

Qu’il fût mangé par l’empereur, ses favoris, le sénat ou son cheval, peu importait. Le poisson n’en restait pas moins en faveur — et c’est ainsi, peut-être pour le prix qu’ils ont coûté à cette époque, autant que par leur valeur propre, que nombre de poissons sont préconisés, de nos jours, jusqu’à la cote de l’enthousiasme, comme l’est le bars.

Allez-vous croire, après cela, que je vais mépriser ou dédaigner le bars ? Vous seriez à plus de cent lieues de mes sentiments — à l’égard de ce poisson — qui m’a procuré des jouissances sociales et expérimentales réellement exceptionnelles. N’ai-je pas vécu cinq de mes belles années au milieu de la population de Montmagny, à faire avec de bons amis, les Taché, les Coursol, les Bender, les Marmette, les Renaud et d’autres, des pêches de batture, d’îles, de rochers, de courses au hasard, avec des chances diverses, sans doute, mais en somme, avec des succès surprenants ?

Cependant, le bars, tant vanté qu’il ait pu être à Rome, à Athènes, chez les Croates mêmes, n’a jamais effleuré les cheveux de la Fortune autant que dans les États-Unis. Dès les premiers temps des colonies de la Nouvelle-Angleterre, le capitaine John Smith écrivait ce qui suit :


« Le bars est un excellent poisson, à l’état frais ou salé. J’en ai vu sur le marché, de si grande taille, que la tête d’un seul peut fournir un copieux repas. Ils remontent ici la rivière, près de ma résidence, en si grand nombre, que dans une seule marée on pourrait y capturer le chargement d’un navire de cent tonneaux. Je les ai vus, à certains jours, regagner la mer, au baissant, tellement tassés, qu’un animal aurait pu passer dessus, sans risque d’enfoncer, comme sur un pont mouvant, d’un bord à l’autre du cours d’eau servant de déversoir. »


Pour les sceptiques qui douteraient de la véracité du vieux colon, nous pouvons apporter à l’appui le témoignage inattaquable d’un contemporain, le révérend M. Divine : « Il existe ici, dit-il, un poisson appelé bars, dont le goût est aussi exquis que celui du saumon frais, en Angleterre. Il était déjà de saison, à notre arrivée, en juin, et nous avons pu le pêcher encore durant trois mois. Nos pêcheurs les capturent par centaines, d’un seul coup de filet, et c’est un spectacle admirable et saisissant de voir ces énormes poissons se débattre dans leur agonie, sur un lit de sable doré Il est de fait que les seines s’emplissent à déborder, et crèvent souvent avant d’atteindre le rivage. »

Lorsque la pêche à la morue produisait des millions sur les bancs de Terre-Neuve — ce qui se voit encore aujourd’hui — aux premiers jours de l’établissement de l’État de Virginie, si abondants étaient les bars sur ses rivages, que les colons songèrent sérieusement à en faire une pêche rivale des pêches des bancs de Terre-Neuve. De fait, depuis deux cent soixante