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IX
PRÉFACE

Pauvres gens ! ils gobaient la mouche mieux que le poisson ! À ces touristes argentés et dorés, il fallait des commissionnaires, des guides, des rameurs, des cochers, un service considérable en somme. Payant grassement, ils se virent promptement entourés, choyés, caressés, adulés. Le mépris du pêcheur fut noyé dans un flot d’or. Désormais, les petits bourgeois, les hommes de profession pourront les imiter impunément et même avec considération : ce qui n’a pas manqué d’être, ce qui dure encore.



Ainsi donc, dès l’âge de cinq ans, je compris qu’il n’existait qu’une seule pêche noble, digne d’un galant homme, la pêche à la ligne. Tout autre moyen de surprise, d’assaut, d’enlèvement contre la gent squammeuse était réputée à mes yeux d’invention barbare. Je commençai par me livrer à cet intelligent et subtil exercice avec toute la vivacité de l’enfance, et j’avais à peine quinze ans que je connaissais tous les secrets du fleuve au-dessus de Montréal jusqu’à Cornwall, secrets qui m’avaient été légués par le père Fanfan avant sa mort, preuve qu’il me jugeait le seul héritier digne d’un pareil héritage.

Depuis, je me suis toujours efforcé de justifier cette marque d’estime qu’il m’avait donnée. C’est pour ainsi dire sous son regard, associé à son souvenir que j’ai fait toutes mes campagnes de pêche, pendant plus de trente ans, dans le bassin inférieur du grand fleuve, la splendeur de notre patrie. De bonne heure, je sondai les mystères des profondeurs et j’abordai avec respect la science ichtyologique des écrivains anglais et américains battant de loin la marche à ceux des autres nations. En faisant la pêche dans les lacs des Cantons de l’Est, et poussant du pied devant moi la petite truite de ruisseau cascadant dans la rivière Saint-Jean ; en remontant les pentes des Laurentides à la poursuite du saumon du Labrador ; en attaquant la truite des lacs dans les bassins des montagnes du nord, depuis le lac Saint-Jean jusqu’au lac Témiscamingue, toujours et partout je