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L’ACHIGAN

— De quelle espèce est-il ?

— C’est du poisson.

— Est-ce du saumon, du maquereau, du hareng ?

— C’est du poisson, vous dis-je.

— Mais le saumon, le hareng, le maquereau sont des poissons, il me semble.

— D’où sortez-vous, mon ami, pour oser parler ainsi ? Ne savez-vous pas qu’il n’existe qu’un poisson au monde, et que ce poisson, c’est la morue ?

Pour peu que le progrès de l’achigan continue aux États-Unis, et que les diverses provinces du Canada sachent l’apprécier à sa juste valeur, dans moins de vingt ans, il sera le type des poissons d’eau douce de l’Amérique du nord, comme la morue est présentement le type de nos poissons d’eau salée.

Je comparais, tout à l’heure, l’achigan au saumon, pour ses vertus conjugales, pour l’affection qu’il porte à sa compagne ou à ses compagnes, suivant le cas, pour les soins dont il les entoure, pour l’aide qu’il leur prête pour creuser leur nid en sillon, du bout du museau — la seule charrue à sa disposition — et pour le recouvrir — ce berceau — à l’instar d’un fossoyeur recouvrant une fosse, avec sa nageoire caudale, la seule pelle qu’il sache manier. À l’amour conjugal il ajoute bientôt l’esprit de famille, en protégeant ses œufs — la famille en germe — en protégeant ses petits, la famille au soleil, sous l’immense regard de Dieu.

S’agit-il de se sauver lui-même de la convoitise des nègres de l’Arkansas, de la Floride et de la Louisiane, qui l’enserrent dans le développement de seines d’une longueur immense, il se fait acrobate et bondit au-dessus des flotteurs, échappant, du même coup, aux filets et aux museaux lippus des enfants de Cham.

Cela ne vaut-il pas un peu plus que l’amour conjugal ? cela ne dépasse-t-il pas l’esprit de famille ? cela ne raffine-t-il pas l’instinct, au point de l’amener dans le domaine de l’éducation ? Prenez garde que demain je ne dise : « L’achigan est un maître-poisson, il a du caractère. »

Ce qui me donne foi dans l’avenir de l’achigan, c’est surtout la popularité qu’il acquiert chez les hommes d’étude et les sportsmen, l’attention spéciale qu’il reçoit de la presse du Canada et des États-Unis, la sollicitude touchant à l’admiration dont il est entouré de tous côtés. C’est en bonne partie pour lui, pour calmer les inquiétudes de ses admirateurs et de ses zélateurs qui ne le croyaient pas protégé d’une façon convenable, que le gouvernement d’Ontario nomma une commission de chasse et de pêche, le 31 octobre 1890, qui lit rapport le 1er février 1892.

Cette même année vit le gouvernement fédéral nommer MM. Samuel Wilmot et Edward Harris, commissaires, pour s’enquérir de certains