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LES POISSONS

me lève dans mon « flat » (bachot) et vais pour tirer ma ligne avant de déguerpir. La ligne tient, ma perche plie.

Tiens, tiens, me dis-je, ça mordrait-il enfin ? Je tire un peu plus fort, rien ne cède, rien ne vient, ma ligne est accrochée à une racine ou prise entre deux pierres, peut-être ? Vais-je forcer la ligne, risquer de perdre mon avancée avant de l’avoir étrennée ? Cela demande réflexion. Mais que faire ? Attendre ? oui, mais attendre quoi ? Que le courant dégage doucement ma ligne ? Mais il n’y a presque pas de courant. Qu’un achigan charitable vienne décrocher mon hameçon en s’y accrochant ? Voilà plus d’une heure que je les invite en vain : ils ont refusé de me faire plaisir, puis-je espérer qu’ils vont se sacrifier pour me tirer de peine ?

« Mais saperlotte ! je suis seul ici, caché à tous les regards par un épais rideau d’arbres ; je n’ai qu’à mettre habit bas, plonger pendant que le soleil éclaire jusqu’au fond de la fosse, décrocher ma ligne et… et embrasser ma belle-mère — c’est-à-dire faire bredouille.

« Ce qui fut dit fut fait ; en un tour de main je me déshabille, d’un saut je plonge à pic, je décroche ma ligne, et en cinq ou six brasses, je fais le tour de la fosse, puis revenu à mon embarcation, au moment où je repasse mes habits, ma perche de ligne s’agite, mon moulinet fait la crécelle : je saisis ma perche d’une main, pendant que de l’autre je retiens mon pantalon encore vide d’une jambe, je tire… cette fois, c’est bien un achigan, un vaillant… la lutte s’engage, je lache mon indispensable et j’enlève, au bout de dix minutes de savantes manœuvres, un poisson de trois livres et demie, qui gît pantelant à côté de mon pantalon. Quelle belle occasion perdue pour la photographie instantanée !

« Je pêchai environ une heure, après être rentré dans mon double étui, et je rapportai à la maison une douzaine de beaux achigans.

« Qui avait pu soudainement stimuler l’appétit de ces poissons ? Je n’ai jamais pu m’en rendre compte. Ceux qui croiront que la recette consiste à plonger, à brouiller le fond, à mettre les infusoires en suspension dans l’eau, n’auront qu’à l’essayer, je la leur donne pour rien et de bon cœur. »


ACHIGAN DES LACS


La pêche dans les lacs diffère peu de celles que nous venons de décrire. Un mot d’une de mes pêches au lac Bernard en donnera un exemple suffisant.

Autant que j’ai pu en juger, les habitants primitifs de ce lac sont l’achigan et la barbotte (amiurus vulgaris), l’ide et le chevesne, communément appelé mulet, au Canada, qui fournit la base de la nourriture