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LES POISSONS

voilà tant sur le marché, » me disaient-ils. Ceux-ci on les a pris dans des filets, traîtreusement ou par assèchement au fond des fosses, c’est évident. »

— Pour les prendre aux filets il faut qu’ils circulent, et s’ils ont la force de circuler, ils doivent avoir celle de mordre à l’hameçon. C’est du moins notre avis. Si la fosse où se réfugie ce poisson pour y passer l’hiver est peu profonde, il se blottira sous des pièces de bois, s’envasera ou s’enveloppera d’herbes mortes, sans bouger et sans manger, c’est là qu’on le surprend à la main après avoir vidé la fosse ; mais si la fosse est profonde, la température lui permettra de nager librement, d’aller, venir, chasser, vaquer à ses affaires, courir à ses plaisirs, comme au soleil de juillet, aux plus beaux jours d’été. Si vous êtes désireux d’une pêche à l’achigan, en hiver, procurez-vous une centaine de minuces bien vivants, et rendez-vous au lac des Vingt-et-un-Milles, dans le comté de Wright, et je vous garantis que vous ne reviendrez pas bredouille.

Le meilleur temps pour la pêche à l’achigan, durant la belle saison, c’est le matin, dès l’aube, et jusqu’à huit et neuf heures. Pêchez-vous à la mouche ou au fond, arrivez à quatre heures de l’après-midi, sur le terrain, et seule la nuit tombante mettra un terme à vos succès. Et encore, si la lune éclaire, vous en enlèverez plus d’un, à la mouche, pendant qu’ils retournent les pierres du rivage de leur museau, pour y chercher des écrevisses.

Autant l’achigan est gourmand et vorace à certaines heures, autant il est sobre et discret en d’autres temps. Une troupe est là, au fond de cette fosse profonde, ombragée d’herbes marines ; vous le savez, car c’est une de leurs stations préférées, où toutes les places sont retenues d’avance comme aux premières représentations d’une pièce de théâtre. Vous lancez la mouche du jour qui oscille avant de s’étaler sur l’eau — suivant les règles de l’art — rien ne bouge ; vous recommencez une seconde, une troisième fois, peine perdue ; vous changez de mouche, vous prenez une libellule au corselet bleu, une demoiselle pleine de charmes, la tentation perd son aiguillon ; vous changez de ligne et de méthode, vous pêchez au vif, à deux hameçons ; l’un esché d’une grenouille, l’autre d’un gardon, pas un coup de dent ; vous essayez des lombrics dégorgés, même abstention ; des écrevisses, la fleur d’un buisson, dédain absolu ; enfin, voici l’esche des esches, la friandise par excellence, vous avez nommé le scorpion ; il suffit de le montrer à l’achigan pour que son appétit s’éveille… et cependant votre hameçon fait le tour de la fosse en quêtant, sans succès. Découragé, vous levez l’ancre et un autre pêcheur vient vous remplacer. Sa ligne a touché le fond à peine qu’elle est violemment secouée ; il amène aussitôt un achigan de trois livres ; la ligne redescend pour remonter lestée d’un second achigan, suivi d’un