Page:Montpetit - Poissons d'eau douce du Canada, 1897.pdf/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
L’ACHIGAN

de dorés, d’achigans, de brochetons de moins d’une demi-livre ? Des mesures urgentes doivent être prises pour réprimer de pareils abus. Ne laissons pas périr nos poissons francs d’eau douce comme a péri le bars à Saint-Thomas, dans les îles d’en face, aux Battures-Plates et aux Battures-aux-loups-marins. Il y a vingt ans, il n’était pas rare de voir trois pêcheurs, munis chacun de deux lignes, capturer sur la batture de Saint-Thomas, à l’île Sainte-Marguerite ou à l’île à la Corneille, en une seule marée, de quatre-vingts à cent bars, les plus gros — « les sileux » — de dix à douze livres, les plus petits, de deux livres. Allez-y pêcher maintenant. Si vous capturez dix bars de deux livres — à six lignes — vous pourrez vous vanter d’avoir fait une belle pêche. D’où vient cela ? De ce que les maraudeurs ont commencé à seiner la nuit avec des seines à mailles serrées, jonchant les grèves des îles de menu fretin, l’espoir des années à venir ; et, en second lieu, de ce que l’on permit de vendre sur le marché de Québec, des bars de six à sept pouces de longueur. Que la leçon nous profite, et que chacun sache prêter main forte aux courageux réformateurs de Montréal, Richelieu, Laprairie, Châteauguay et Beauharnois. N’oublions pas l’aphorisme : « Qu’un arpent d’eau devrait rapporter autant qu’un arpent de terre. » Pascal disait que « celui qui fait pousser deux brins d’herbe où il n’en poussait qu’un, est un bienfaiteur de l’humanité. » Ne peut-on pas dire avec plus de raison, que celui qui fait produire aux eaux du pays deux poissons au lieu d’un, est un patriote ?

L’achigan mord à l’hameçon, dès les premières chaleurs de juin — à la fleur du prunier — soit au fond soit à la mouche artificielle. Mais que la loi soit sévère à l’égard de ceux qui le tentent avant le 15 juillet. Séparer un achigan de son nid lorsqu’il est rempli d’œufs, ou que les petits viennent d’éclore, ce n’est pas seulement une légèreté, c’est une faute, c’est faire le mal de propos délibéré. Car leurs protecteurs naturels étant disparus, les œufs ou les petits deviendront la proie de pillards avides que seule l’intrépidité de l’achigan tenait en échec.

L’achigan continue de mordre, durant tout l’été, jusqu’aux premiers froids d’octobre, alors qu’il rentre prudemment dans ses quartiers d’hiver. Je parle ici pour le Canada, car, dans les États du sud, il n’y a pas de carême pour lui, il chasse à la surface et mord toute l’année.

En voyant, tous les ans, en janvier et février, des monceaux d’achigans gelés sur nos marchés, j’ai questionné des marchands de poisson et des pêcheurs de profession, je leur ai demandé si l’achigan mord, en hiver, au fond de sa prison de glace ? Plusieurs m’ont affirmé qu’il mordait, d’autres se sont contentés de sourire en me montrant ces tas d’achigans roidis comme des barres de fer. « Vous voyez bien qu’il mord, puisqu’en