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LES POISSONS

engins de pêche se multiplient et se perfectionnent de jour en jour : la préparation des amorces, des esches et des appâts mêlés à des essences chimiques odoriférantes, augmente les tentations, attire les victimes, les réunit sur certains points, d’où elles sont traîtreusement enlevées par troupes.

On ne s’en douterait pas, mais les plus terribles destructeurs de poissons sont peut-être les enfants, surtout les enfants des villes en villégiature sur les rives de nos cours d’eau. Chaque famille équivaut à un nid de cormorans. Un besoin inné de ravager, de dépouiller, de tuer tourmente ces petits tyrans dont la cruauté se développe encore par la rivalité. Vous les verrez détruire des fleurs, monter aux arbres pour en arracher les fruits verts et en remplir leurs poches, enlever les petits oiseaux de leurs nids pour les faire mourir sur la route ou simplement leur tordre le cou, courir les grèves, faisant la chasse aux grenouilles, aux lézards, aux écrevisses, sans autre but que de les faire périr cruellement à petit feu. Grenouilles, lézards et écrevisses jouent un rôle respectable dans l’économie des poissons, spécialement de l’achigan, car ils constituent une partie importante de leur nourriture qui leur est ainsi enlevée sans raison.

L’autre jour, je voyais trois enfants de douze à quatorze ans occupés à seiner des minnuces pour pêcher le doré ou le brochet. Je m’approchai d’eux pour connaître le résultat de leur pêche. Leur seine minuscule, de douze pieds de longueur par dix-huit pouces de hauteur, ne couvrait pas une grande ère, mais ses mailles excessivement serrées comme celles de la passe d’un crible ne laissaient rien échapper du circuit qu’elle embrassait, en fait de poissons, si petits qu’ils fussent. En trois coups de seine, en eau trouble, sur un fond vaseux, ils capturèrent environ cent cinquante poissons, dont une vingtaine d’ablettes, propres à la pêche au vif, cinq ou six carpons, autant de barbotins, des dorés, des perchettes en quantité, une douzaine de brochetons, deux ou trois maskinongés, cinq écrevisses, et chose rare, quatre petits « poissons armés » (lepidosteus osseus) qui eussent été de grandes curiosités dans un vivier. Les vingt ablettes furent mises à part pour la pêche au vif, mais les autres — plus de cent poissons — moururent là sur le sable. Je dis aux enfants : « Rejetez donc ces petits poissons à l’eau pendant qu’ils sont vivants, petit poisson deviendra grand, dit le proverbe. » Ils me regardèrent étonnés pour juger si j’étais sérieux, et s’éloignèrent en éclatant de rire.

Le menu fretin qui figure sur nos marchés les déshonore. Que doivent penser les étrangers, accoutumés à entendre vanter nos pêcheries, l’excellence de nos poissons d’eau douce, lorsqu’ils voient les abords de nos quais et même le marbre de nos étaux souillés de la présence de paquets de perchaudes, de crapets, de barbottes de six à sept pouces de longueur,