Page:Montpetit - Poissons d'eau douce du Canada, 1897.pdf/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
110
LES POISSONS

capturâmes, il y en eut deux seulement de quatre livres ; tous les autres pesaient moins que cela. Un parti de jeunes sportsmen pêchait en même temps que nous. Ils se vantaient de nous avoir battus. Ils avaient, disaient-ils, un achigan de 4½ livres. Incrédule, Christin s’en fut voir la merveille. Il soupesa et tâta le poisson. Quelque chose de dur qu’il sentit sous ses doigts lui donnant des soupçons de fraude, il pressa davantage, et de la bouche du poisson tombèrent une série de petits cailloux qui, réunis, pesaient plus d’une demi-livre.

La conformation et la disposition des ovaires de l’achigan, la nature agglutineuse de ses œufs, empêchent la reproduction artiticielle de ce poisson, mais il est si facile de le transporter dans des barils ou des bidons, lorsqu’il est jeune, sa force vitale est si extraordinaire il grandit et se multiplie si vite, que l’absence de cette qualité ne se sait presque pas sentir. Avec une protection raisonnable et raisonnée, l’achigan occupera bientôt une première place dans les eaux douces de l’Amérique du nord. Huro : oui, c’est un sanglier pour protéger ses œufs et ses petits, au nid, dans le berceau ; huro : il a sa bauge dans les profondeurs du lac, et brochets, dorés et maskinongés s’en tiennent à distance ; la truite fuit au moindre de ses mouvements. Jumper : grâce à son agilité, il franchit d’un bond des chutes au pied desquelles perchaudes, carpes, crapets, dorés, brêmes, malachigans, brochets, font queue en attendant du ciel l’orage bienfaisant qui nivellera les eaux. L’avenir de l’achigan est assuré, car il repose sur les intérêts du commerce et sur les plaisirs des sportsmen enrichis. Si sa cote ne monte pas jusqu’au million, comme celle des poissons de commerce, le saumon, le poisson blanc, le namaycush, elle atteindra du moins un chiffre surprenant et des plus respectables.

La chair de l’achigan se distingue surtout par sa fermeté, qui s’exagère jusqu’à la dureté chez les vieux sujets ; elle est d’une rare délicatesse chez les jeunes de trois ou quatre ans, nourris dans les eaux vives ; le plus souvent ils se mangent rôtis jusqu’au gratin. Après les avoir préparés, le soir, vous les entaillez de trois ou quatre coups de couteau servis de travers dans les flancs, vous saupoudrez du sel sur les plaies, et puis vous les couchez sur le côté pour les laisser dormir. Le lendemain, vous faites rôtir à sec et servez chaud au déjeûner. Est-ce bien cela, mes amis ? Allons, ne parlez pas tous à la fois.