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VII
PRÉFACE

saisissants de poésie, des tableaux charmants, des paysages pittoresques. Si vous êtes deux ou trois amis à partager ces heures délicieuses d’étude, d’attention, de soins intéressés, vous n’avez qu’à vous laisser vivre pour être éminemment heureux.

Chacune de vos captures, en agitant votre ligne, a communiqué à votre cœur un mouvement de joie : vous ferrez et le coup tient ; dès lors le monde entier, pour vous, est attaché au bout d’un fil. Est-ce une perche, un chevesne, une truite qui va là ? On l’ignore. Vos compagnons suivent avec intérêt les évolutions que le captif imprime à la ligne, les ronds, les barres, les zigzags qu’elle trace à la surface. Vous tenez ferme, vous approchez votre proie du bout de votre canne à pêche, en supputant son poids par la résistance qu’elle offre ; la voici dans la couche éclairée de l’eau ; c’est une truite, et une truite de belle taille encore !

— Attention !… Prends garde de la manquer !… disent les compagnons, avec un peu d’amertume jalouse dans l’avis ou l’encouragement. Car, il n’est pas de satisfaction moins partagée que celle d’un coup de ligne heureux, comme il n’est pas de condoléances moins sincères que celles que l’on donne et prodigue à un coup manqué. La rivalité est l’un des attraits de la pêche à la ligne, et son principal stimulant : la taquinerie, la moquerie, la gouaillerie sont l’assaisonnement, le gros sel indispensable de ce plaisir pris en commun. Il n’y a que le pêcheur solitaire qui en connaisse la jouissance pure, exempte d’envie. Pour être moins éclatants, ses succès n’en sont pas moins méritoires.

Après deux ou trois bonds, quelques écarts, plusieurs plongeons, la truite épuisée se rend : la voici près de l’embarcation. Vite l’épuisette ! Un compagnon avance la pochette en mailles, assez gauchement et enfin, la truite roule pantelante au fond de l’embarcation. L’un d’eux la palpe, l’autre la mesure de l’œil, la compare avec une autre déjà prise, ou rappelle qu’il en a pris une plus grosse à tel ou tel endroit ; puis, le silence se rétablit jusqu’à la prochaine aubaine.

Voilà pour les pièces de haute ligne, les luttes en règle, les grands combats ; mais il va sans dire que le menu fretin ne reçoit pas les mêmes honneurs. Il passe du fond de l’eau au fond du panier sans laisser plus de traces dans l’esprit des pêcheurs qu’il en a laissé dans