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VI
PRÉFACE


Ours et renard,
Outarde, huard,


avaient mauvais jeu contre lui. À l’époque de la débâcle des glaces, s’il apercevait au large, dans les rapides, la tête fauve d’un loup marin, il bourrait sa pipe, au pouce, l’allumait, puis décrochant son fusil pendu à la cloison, il filait d’un bon pas vers le Buisson, où le loup marin devait fatalement se diriger. Vingt minutes s’étaient à peine écoulées depuis son départ qu’un coup de fusil annonçait la mort inévitable du malheureux pennipède.

Comme pêcheur, le père Fanfan connaissait tous les caillous, toutes les battures, toutes les talles d’herbes, de joncs où pouvaient se cacher le doré, l’achigan et le brochet pour y guetter leur proie, et dès qu’il se donnait la peine de les relancer, on était sûr qu’il en faisait des razzias irrémissibles. Un maskinongé s’aventurait-il dans l’anse du Buisson, l’odeur de melon lui révélant sa présence, il allait droit à lui et le rapportait triomphalement dans son canot. Il n’en fallait pas plus pour gagner mon admiration et mettre les exploits du père Fanfan au-dessus de ceux de Joe Montferrant, qui représentait alors pour moi le plus grand homme du Canada. En somme, je n’eus que de faibles efforts à faire pour entrer dans la carrière de pêcheur à la ligne qui m’était ouverte par une main aussi habile, commandant d’autorité au succès. Au for de ma conscience, peut-être devrais-je avouer que j’y étais naturellement poussé.

Heureux celui qui naît avec le goût de la pêche ! Il a devant lui des jouissances douces, des plaisirs faciles, qui lui coûteront peu, lui profiteront souvent beaucoup, sans lui laisser ni remords ni regrets. Pour peu qu’il soit observateur, il recueillera en s’amusant des leçons puisées aux sources vraies de la Nature. Tout le temps de la pêche, l’esprit cherche, analyse, compare ou médite, Ce monde mystérieux des eaux, tantôt sombre et silencieux, profond et marmoréen, tantôt agité, murmurant et rugissant comme l’ouragan, comme le tonnerre, tantôt limpide et transparent comme le plus pur cristal, offre tour à tour à l’imagination et à l’œil des contrastes