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LES POISSONS

de son voisinage, je puis dire que j’ai pêché durant dix années et plus, à divers intervalles, dans la rivière Saint-Charles qui lave tous les jours les pieds du promontoire de Stadacona (Québec), qui salue en passant la statue de Jacques Cartier, berçant le Canada dans les débris de la Petite Hermine — berceau héroïque ! que j’y ai pris force maskinongés, brochets, dorés, chevesnes, carpons, anguilles, aprons, chabots même — mais un seul achigan, un seul ! — au cours de ces dix ans et plus. J’ajouterai sans reprendre haleine, que j’ai pêché tant et plus dans le bassin de la rivière du Sud, à Montmagny, où les eaux douces tombant d’une chute de vingt-deux pieds repoussent comme avec une pelle les eaux saumâtres du fleuve ; j’ai capturé des milliers de poissons au bas de cette chute, dans le coup de la pelle, sans y pêcher un seul achigan, quoiqu’il fourmille par centaines et par mille à quelques arpents seulement au-dessus de la chute.

Cependant, soit par curiosité, soit que l’ambition lui vint au contact du peuple américain — le peuple "go ahead" par excellence — on le voit, en 1825, se glisser par le canal Érié jusqu’à l’Hudson, une longue avenue donnant sur l’Atlantique, qu’il a su vite peupler abondamment. Subséquemment, l’industrie des hommes aidant, il se répand aussi rapidement dans les lacs et les rivières des États riverains de l’Atlantique. Il ne tarde pas à régner en maître par la force et par le nombre dans le Potomac et ses tributaires. Les premiers achigans déposés dans ces eaux y furent transportés, en 1853, dans le réservoir d’une locomotive circulant sur le chemin de fer récemment ouvert, le Baltimore et Ohio : et moins de dix ans après, ils y fourmillaient et menaçaient d’en chasser la truite, qui en était la reine reconnue de tout temps. Ayant pris le goût des aventures, on le voit bientôt passer la mer, pour s’établir en Angleterre et en Écosse, où il reçoit le plus aimable accueil. Il est d’abord repoussé du continent comme un forban. En France, on le redoute plus que le sandre et le brochet : on lui a même préféré l’achigan blanc (white-bass), un vrai renard, un mangeur d’œufs dont le lac Ontario est heureux de se trouver débarrassé. Je suis convaincu que du jour où l’achigan fera flotter son pavillon sur les eaux du Danube, et cela ne tardera guère, aucune force maritime ou autre ne pourra l’en évincer.

Je vois que l’achigan noir a été admis dans les eaux douces de l’Allemagne et des Pays-Bas, comme l’attestent les états suivants que je reproduis textuellement :

Of the seven large-mouthed, and forty-five small-mouthed Bass which M. Eckardt, Jr., brought from America in February, 1883, the greater number died, probably in consequence of the long journey, so that this spring there remained only three of the former and ten of the latter, which I placed in two ponds supplied with gravel beds for spawning. — (Max Von dern Borne, Circular No 4, 1884, German Fishery Association, Berlin, June, 1884.)