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PRÉFACE



C’est à Beauharnois, dans les eaux d’un ruisseau qui sépare le Buisson des Cascades, que je jetai ma première ligne, formée d’une aiguillée de fil de chanvre, armée d’un hameçon d’épingle, et attachée à une branche de troène. Lorsque je rapportai, au soleil couchant, trois ablettes et un vairon dans ma petite chaudière, le fils du roi n’était pas plus fier que moi. Ce jour-là compte parmi les plus beaux jours de ma vie. Je n’avais que cinq ans, et cependant ma vocation de pêcheur à la ligne date de cet âge-là. Entre Beauharnois, Saint-Timothée, les Cèdres, le Coteau et Valleyfield, il y a de fort beaux endroits de pêche. Il ne manque pas de grèves sablées, en pente douce, où l’on seine ; ni de courants où l’anguille périt sous le dard du nigog ; ni d’anses où on l’enlève à la vermée ; encore moins d’eaux profondes où on la pêche à la ligne dormante. Au Buisson, des pêcheurs hardis, à la lueur d’un flambeau de cèdre, une gaffe de dix-huit pieds de longueur dans les mains, marchant jusqu’à mi-corps dans des vagues à fond noir, à crête blanche, harponnent cruellement des esturgeons énormes émergeant de l’eau en se tordant et montrant leur ventre, blanc comme une peau d’homme, déchiré par une plaie sanglante ; mais toutes ces manières de capturer le poisson, pour profitables qu’elles puissent être, n’en sont pas moins hideuses. Ce n’est pas de la pêche, c’est de la tuerie.

J’aurais pu me laisser aller, comme bien d’autres, à l’entraînement de cet exercice brutal, lorsque j’y échappai, grâce à Dieu, par l’exemple de notre vieux voisin, Fanfan Brossoit, qui n’eut jamais son égal comme chasseur et comme pêcheur à la ligne.