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LE MASKINONGÉ

Abénakis de Saint-François du Lac, défendit à son fils de se baigner dans le lac Lambert, craignant, disait-il, qu’il fût saisi et noyé par un de ces requins d’eau douce. Néanmoins, je n’en ai jamais vu du poids de plus de cinquante livres.

J’ai souvent entendu parler de maskinongés monstres capturés à l’embouchure de la rivière Ottawa, à Sainte-Anne, autour de l’île Perrault, à Beauharnois, à Valleyfield ; le curé Brassard, de Vaudreuil, vit sa chaloupe renversée par un de ces géants. Par bonheur, il se trouvait près du rivage qu’il atteignit en quelques brassées sans lâcher sa ligne, et une fois sur terre, il amena de haute lutte son redoutable adversaire jusqu’à ses pieds. L’animal pesait cinquante-quatre livres. Un pauvre diable manchot, avec une ligne des plus primitives, sans rouet, en se servant de ses dents, vint à bout, un jour, au lac des Deux-Montagnes, de noyer un maskinongé de trente-sept livres. Au temps du frai, le maskinongé fleure de loin l’odeur du melon. Les vieux pêcheurs ne manquent pas alors de jeter à l’eau leur plus forte ligne eschée d’un chevesne ou d’un chondrostôme, qu’ils laissent glisser dans le sillage de leur canot. Si d’aventure le maskinongé donne et s’enferre, il prend le canot à la remorque, et pour peu qu’il soit de bonne taille, il fournit une course de plusieurs milles avant de demander grâce. Par un temps calme, sur la surface unie d’un lac, ces canots lancés à toute course sans force motrice apparente pourraient faire croire à la sorcellerie.

Le maskinongé habite également l’embouchure des rivières tributaires des grands lacs, venant du nord. Il est assez nombreux dans le Manitoba et le Nord-Ouest.

Cependant, son domaine est bien loin d’être aussi vaste que celui du brochet commun, qui s’étend sur tout l’ancien monde et une partie du nouveau monde, passé le 33e parallèle jusque auprès des régions polaires.

À mon avis, le maskinongé est un poisson aussi désirable que le brochet est méprisable, pour sa vaillance, pour le sport, comme pour ses qualités culinaires. Il mérite d’être cultivé avec soin dans certains lacs étendus des Laurentides, aux eaux claires, frangés de nombreux ruisseaux peuplés de blanchaille. Une culture soignée de ce poisson ferait vite la réputation d’un lac, dans le monde du sport, et doublerait la valeur de sa chair sur la table des gourmets des États-Unis et du Canada. Le goût de la chair du maskinongé du Canada est d’une délicatesse exceptionnelle. Je sais des gens qui sont le trajet entre Ottawa et Carillon, à bord du bateau du galant capitaine Bowie, tous les vendredis, pour manger au dîner un morceau de maskinongé bien flairé sur le marché, bien apprêté sur le bateau.

Le maskinongé a donné son nom à l’un des plus beaux comtés du