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jambes, comme si elles n’obéissaient pas, comme si elles n’étaient pas à eux, continuent de marcher, d’un pas d’automate, d’un pas déjà militaire…

« La grille… Arrêtons-nous… Hélas ! Elle est déjà franchie… Adieu, l’enfance !… Ils sont soldats.

« Après le grand effroi de l’arrivée, quand le premier réveil les arrache à leurs lits étroits, ils ont l’âme toute changée. Ils s’habillent le plus vite qu’ils peuvent, avec une hâte fébrile et gauche. Ils descendent dans la cour, et leur cœur bat quand l’adjudant inspecte leur tenue. Le lieutenant leur paraît un surhomme et le capitaine, un dieu. Ils écoutent et ils croient de toutes leurs forces ce qu’on leur dit. Ils apprennent ardemment à saluer, à marcher, à pivoter. La première fois qu’ils se montrent en ville, en détachement, bien alignés, et marquant vaillamment le pas, une fierté leur fait lever la tête.

« Le chef armurier leur remet un fusil, surmonté de sa baïonnette, un long et lourd fusil, tout recouvert de graisse. Ils le prennent avec une maladresse religieuse. Ils traversent la cour en le portant comme un cierge… Mais c’est leur fusil, une des rares choses qui soient à eux, bien à eux, dans cette armée où tout est en commun. Et puis, qu’est-ce qu’un soldat sans fusil ?… Le fusil évoque les combats, les glorieuses blessures, le