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LE FRONT CONTRE LA VITRE

réserves professionnelles. Je revis l’époque où nous étions mal notés parce que nous « faisions de la littérature », parce que nous nous plaisions au jeu des idées, aux joies de la culture.

Combien de nos grands hommes ont leur statue ? Un portrait, qui donc y songe ? Combien d’œuvres de nos sculpteurs ou de nos peintres ornent nos intérieurs, livrés au meuble et au bibelot, produits sans nom, aux tristes cadeaux de noces, aux « souvenirs » de Québec, de Montréal ou de Saint-Faustin, où s’étale le mauvais goût que nous dispense l’exotisme commercial. Tout cela, par bonheur, l’étranger l’ignore, et il ne constate pas l’état où en est arrivé un peuple qui se proclame français. Mais l’architecture, la maison, se voient ; et c’est là qu’on nous attend pour savoir si nous avons tenu notre pari de fidélité.

Comme nous avons reculé ! Pour en juger, il suffit d’évoquer un vieux coin de l’Île d’Orléans qui, précisément, ressemble au Danemark : terre unie, aux tons chauds, où les maisons comme des mots varient assez pour qu’on en distingue le sens ; où les églises d’une grâce résolue, très douces de lignes, semblent porter avec plus de fierté ou de raison le coq gaulois. Voilà le style que nous tenons de la France. À la suite de la colonisation, il s’est répandu dans la province, où l’on suit, le long des routes, une parenté qui épouse ses toits inclinés. Le type paysan, égrené dans la campagne, se rallie à des manoirs qui gardent contre l’oubli prochain le souvenir d’une aisance encore parfumée de noblesse. Dans les villes on le retrouve, mêlé à un type nouveau