Page:Montpetit -Le Front contre la vitre, 1936.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
IN HYMNIS ET CANTICIS

blancs. Et c’est une chance si, par un snobisme à rebours, ils n’exhibent pas la phobie du bon langage, c’est-à-dire du simple langage, s’appliquant à des tournures bâtardes où s’encanaille leur prétendue démocratie ; ou s’ils n’acceptent pas leurs fautes en prétextant qu’ils savent mieux et que, de surcroît, depuis Louis XIV, la France parle mal.

J’ai entendu des gens de robe défendre avec éloquence l’expression hélas ! consacrée : « Faire application au tribunal ». Application, c’est un mot français, disaient-ils, pourquoi ne pas l’employer ? Évidemment. On en a vu bien d’autres ; mais, application, n’a pas le sens qu’on lui prête. S’étonne-t-on que présent veuille dire actuel en anglais ; et que actual signifie réel ? Heureuses chinoiseries, sans lesquelles le langage ne serait que fadeur. Surtout : irremplaçable discipline dont dépend rigoureusement notre caractère. Les mots n’obéissent pas à notre fantaisie. Ils ont chacun leur son, leur couleur, leur éclat, leur mystère. L’écrivain croit les juger quand ce sont eux souvent qui condamnent l’écrivain. Il faut les respecter : ils sont la pâte de la pensée. Écrire, c’est modeler. Qui a vu un sculpteur accentuer un sourire ou mettre de la lumière dans un regard, comprendra.

Rien d’étonnant que le goût s’effrite aussi quand on n’en cultive plus les ressources, quand on n’en soupçonne plus les secrets. Les mœurs subissent les infiltrations américaines. L’art, malgré les promesses de certains réveils, qui d’ailleurs ne soulèvent encore qu’un bord de paupière, malgré l’évi-