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IN HYMNIS ET CANTICIS

notre existence au point que nous ne nous rendons plus compte de nos insuffisances.

Certes Barrès n’est pas le seul qui ait confié au papier l’ordinaire de sa pensée. Dès l’école, n’avons-nous pas copié des vers ou des tirades et griffonné des fiches, témoins, au fond des tiroirs, d’enthousiasmes souvent inexplicables à l’âge mûr ? Le carnet ne s’inquiète pas tant de l’expérience des autres. Il reçoit l’apaisante vérité d’une confidence. Il harmonise l’observation et la lecture en une réflexion rapide où la sensibilité se repaît. Un vers qui plaît, une citation qui éveille un mouvement, le reflet d’un caractère ou la couleur d’un horizon, un incident banal qui prend la force d’un argument, un aveu ou un espoir, même les contractions de la souffrance, tous les mouvements de l’intelligence devant la vie, s’ordonnent et demeurent. Peut-être n’y revient-on jamais ? Ce n’est pas sûr, car il y a une curiosité du souvenir. Peu importe, d’ailleurs, pourvu qu’on ait pris l’habitude de réagir. Merveilleux procédé pour ceux que séduit l’expression ou qui, plus simplement, voient avec regret se diluer dans l’indifférence uniforme des jours les images dont ils ont pourtant soupçonné la beauté !

Que de gens, hélas ! cristallisent peu, qui n’ont pas de sens critique, qui restent de glace devant l’universel ravissement des choses, repliés sur le vide de leur cœur, victimes d’idées toutes faites, de conventions ou de préjugés, et n’atteignent jamais à la connaissance, même à la présence de leur être, satisfaits de subir l’inexorable nivellement de l’imitation.