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LE FRONT CONTRE LA VITRE




Le lendemain, le regard retrouve la mer toujours chargée d’inquiétude. De petites vagues se poursuivent joyeusement. Un soleil pâle inonde. L’ai-je jamais vu ainsi au sud de l’Angleterre ? Une brume rosée à l’horizon. Je m’affermis vers mon pays où je suis heureux de rentrer, vers mon destin et le milieu qui est mien. Je distingue les choses qui m’attendent parmi des affections et la tâche quotidienne. Je m’appuie au bastingage comme lorsque j’arriverai à Québec et à Montréal. Mon pays est grand et vigoureux. Le peuple, que je comprends mieux que jamais, est intéressant, qu’il agisse ou qu’il se défende. Je retourne vers ce qui ne s’arrache pas du cœur : la patrie. Et je note cette réflexion d’une Canadienne française vivant depuis longtemps en France : « Oh ! comme je m’en irais au Canada, si je pouvais emporter mes morts ! »

La mer est gentille. Le vent garde l’horizon clair. Une fraîcheur âpre nous rapproche du pays et rend le cœur plus vif. Je retrouve avec joie les nuits du nord, fidèles à chaque retour. Peu d’événements. Une saute de vent, une banquise aux allures de bête fauve assoupie, suffisent à remuer notre curiosité. Je « tiens » le temps, comme disent nos gens. Quelques livres, d’agréables conversations, des souvenirs encore jeunes. Nos craintes instinctives s’apaisent dans le calme des jours. C’est un délice. Je comprends enfin ceux qui disent avec une placidité dont j’ai souvent douté : « La mer est un repos ».

Mais je me rappelle les surprises des « terres neuves ». À deux cents milles de Cape Race, le ciel