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LE FRONT CONTRE LA VITRE

gique, à mes courses à travers la France ; tout cela, dont je me suis détaché peu à peu, cède devant le regret actuel. Le taxi, en automate, avec l’idée hâtive et sotte de m’acheter un faux col. La gare, et la gêne des adieux prolongés. Le premier tour de roue qu’accompagne un regard sur les maisons que l’on aperçoit au-dessus de la tranchée. Puis un temps maussade, des prés verts et mouillés dans un vague brouillard. Je découpe des livres en suivant la conversation d’aimables voyageuses : Paris transformé, déserté par les Français, un théâtre hésitant qui se porte vers des reprises pour y chercher des sursauts de vitalité ; le vide des Music Halls comblé par des étrangers à qui l’on jette une pâture quotidienne. Et pourtant, on se plaît à y revenir.

Cherbourg. J’en connais la physionomie : le décor du détachement, après la féconde Normandie où nous avons revu Caen et la ville où vécut sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Lisieux. Cette fois, je veux visiter Cherbourg, mal jugé par le regard maussade de l’adieu. Ne m’a-t-on pas dit que derrière la grisaille des hautes maisons, il y avait des beautés ? Le taxi longe la mer sur laquelle s’étend un rayon de soleil que la brume dissémine. Des noms passent et justifient ceux que j’ai si souvent blagués chez nous : Urville, Pauville, Anverville, Gréville. Ici, dans le décor que forment quelques habitations autour d’une église merveilleuse, d’une ancienneté sans retouches, la statue de Jean-François Millet. Une harmonie pieusement gardée. J’y vivrais des heures, qu’une connaissance mieux avertie rendrait plus heureuses. Mais c’est le sort de ces