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DISCOURS À L’ACADÉMIE DE BELGIQUE

Émile Faguet, à qui André Thérive vient presque faire écho, qui conseillait aux Belges, aux Suisses et aux Canadiens de continuer à user de leur français archaïque parce que tout ce qui est du XVIIe siècle est excellent, même au XVIIIe quand c’est avec Voltaire qu’on y revient ; de négliger le XIXe siècle et de redouter Paris où il n’est que provincialismes comme « partir à Rouen » et « sortir son chien ». L’usage est bien autoritaire pour avoir aussi peu de lettres que lui en prêtent les linguistes et je ne comprends pas pourquoi nous lui sacrifions des mots comme peinturer que l’on a eu la fâcheuse idée de laisser tomber. Nous pensons qu’il n’y a pas de mal à conserver des expressions qui ont reçu la sanction du temps français comme : mais que je vienne, si c’est un effet de votre bonté, avoir de quoi, ou espérer un instant, et si cela ne plaît pas à tous, nous n’en accuserons que le progrès, non la langue.

Je plaisante, car la chose est plus grave. Philologues d’une espèce particulière, dont il existe quelques types en France et en Belgique, nous voulons garder nos mots, même morts, parce qu’ils sont pour nous une tranchée des bayonnettes. Ailleurs, dans les provinces françaises, on recueille les vieux mots par affection, par une sorte de piété locale, comme quelque chose de précieux et qui va se perdre ; au Canada, il y a cela et plus encore. Nous aimons les vieux mots parce qu’ils sont une tradition et une ressemblance, parce qu’ils nous unissent dans l’histoire et qu’ils nous protègent contre l’envahissement, parce qu’ils sont un gage de survivance, un refuge