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LE FRONT CONTRE LA VITRE

mieux qu’un coin du monde où l’on comprend le français : il est une terre où le français existe de naissance, au cœur d’une population qui n’a que lui pour traduire sa vie même et qui le conserve comme un titre de noblesse par quoi elle s’apparente. L’observation, poussée plus loin, en fournirait des preuves émouvantes. C’est le français que suivent les dix mille regards tournés vers la chaire de Notre-Dame de Montréal où une tradition, déjà longue, conduit chaque carême un prédicateur de France ; le français encore, que goûtent les auditoires groupés autour d’un conférencier qu’une mission ou tout simplement la sympathie a guidé vers nous ; le français, celui que l’on appelle classique et dont le nôtre se rapproche, fût-ce sans le savoir, que l’artiste fait renaître devant les enfants accourus de toutes les écoles, lorsqu’il interprète une œuvre de Molière ou de Beaumarchais ; le français, plus populaire, égayé des mêmes sourires, alangui des mêmes tristesses, nourri des mêmes naïvetés sentimentales, que lance le chansonnier et qui fait battre les mains aux endroits mêmes que la province française a déjà soulignés ; le français enfin, moins souple peut-être, plus ramassé, moins abondant parce qu’il a dû se replier sur lui-même et durer dans le seul souvenir, mais vivace encore et suffisamment fort pour se ressaisir, que l’instituteur canadien transmet aux générations, que le poète exalte et que la prose défend, que le prêtre sanctifie lorsque, chaque dimanche et jusque dans les hameaux les plus humbles, il prononce comme s’il l’écrivait un prône que les fidèles écoutent comme s’ils le lisaient. Et cela depuis trois siècles, inlas-