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LE FRONT CONTRE LA VITRE

être haute et se perd, blanche, dans l’espace. À l’aide d’un rameau il recueille dans le bénitier d’argent des gouttelettes qu’il projette avec force, et qui retombent à ses pieds après avoir béni la mer en la reflétant. Le pavillon s’abaisse ; la sirène salue d’un seul cri rauque. Mlle Flandin, avec une grâce émue, abandonne au sillage une corbeille de fleurs où s’ordonnent les trois couleurs. Le blanc et le bleu s’évanouissent vite ; le rouge persiste comme une flamme.

L’océan se referme sur ses morts. Nos yeux, désormais sans attache, retournent à l’horizon et retiennent l’impression d’une immense chose froide où ceux que l’on vient d’évoquer sont ensevelis.

Je me rappelle Saint-Malo où nous avons consacré des heures splendides à la mémoire de Jacques Cartier. Au déjeuner de la Chambre de commerce, je m’étonnais que le président saluât d’abord les naufragés de la Cité malouine, quand je m’enchantais à poursuivre sur la mer des caravelles. Comme il avait raison ! Les morts sont notre destin. Ignorés pour la plupart, nous les partageons. Durant deux cents ans, et plus encore puisqu’on recule sans cesse l’obscure découverte de l’Amérique, les morts de France ont été nos morts. Disparus, réduits à on ne sait plus quoi, au point qu’on a peine à imaginer la traînée de leurs ossements, ils demeurent quand même puisqu’on les a fait revivre tout à l’heure. Ils nous apparentent. Notre histoire remonte plus loin que les fondateurs de notre pays ; elle se ramifie par ses racines dans le terreau français.