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LE FRONT CONTRE LA VITRE

apaisé, le chemin où il n’y a plus qu’à s’engager pour que l’attente devienne réalité dans chaque mouvement et demeure quand même pleine de promesse ?

Je ne le revois pas sans revivre mon arrivée, il y a plus de vingt-cinq ans, jeune étudiant en quête de formation. Mais je n’ai plus retrouvé le soleil de ce jour-là sur les maisons hautes, sur les cheminées courtes et jumelées. Un gabelou passa dans le hublot, le pas traînard, les deux mains dans son ceinturon d’où pendait un coupe-choux qui me parut énorme ; je le jugeai aimable et conçus pour lui du respect. Il n’était pas sept heures du matin quand je me mêlai à la vie du Havre, saisi physiquement par un spectacle qui m’a laissé depuis l’enivrante curiosité d’une ville au réveil. Au-dessus des croissants dorés que je commandai dans une crèmerie, mes yeux restaient rivés aux mouvements et aux couleurs de la rue qui chantait : « À l’anguille de Seine à l’anguille ! » — « J’ai de la carpe encore vivante ! » Une noce passa, où je sus plus tard qu’il y a toujours un militaire ; effectivement, il y en avait un, mais j’ignorais qu’il devait y être. Puis, dans le silence que les femmes animaient du signe de la croix, un corbillard lamé d’argent. J’ouvrais mon cœur à la France. Le Havre, c’est une ineffable rencontre.

On y revient d’ailleurs, et l’on tâche, par un obscur sentiment d’équité, de le connaître mieux. Dans les heures tragiques ou dans les circonstances solennelles, il a le même accueil. Un monument y rappelle la reconnaissance du peuple belge. Au cimetière, le buste de Crémazie reçoit notre hommage. On ne