Page:Montpetit -Le Front contre la vitre, 1936.djvu/222

Cette page a été validée par deux contributeurs.
222
LE FRONT CONTRE LA VITRE

me cite le mot d’un Normand : « Pour dire qu’y a des pommes, y a pas d’pommes ; mais pour dire qu’y a pas de pommes, y a des pommes ». Rapprochez de cela la phrase que mon collègue, Léon Lorrain, a cueillie chez nous, et sur laquelle il suffit de mettre l’intonation : « Ma femme n’est pas mal mal, mais elle est pas mal mal ». Pas plus que le paysan normand le nôtre ne dit oui ou non, il dit : oué, avec le même mouvement de tête, le même clignement des yeux.

Pendant le déjeuner, qui nous réunit autour du maire, des propos s’échangent. Cette table, dans une vieille hostellerie de Rouen, me rappelle le premier dîner d’une association que nous avions fondée à Montréal, il y a, hélas ! plusieurs années, sous ce nom : « Le tour de France d’un estomac canadien ». Nous avions commencé par la Normandie. On soupçonne le menu, depuis la sole normande jusqu’au pont-l’évêque, en passant par les tripes à la mode de Caen. Un calvados, apporté de France par un camarade, donna la profondeur voulue au « trou normand ». Nous avions déniché au fond d’un couvent un cidre agréable, pas trop sucré ni trop aigre. La fête, commencée dans la joie, s’acheva dans une émotion inattendue, surgie du passé. Une boîte mécanique, faute de mieux, jouait : J’irai revoir ma Normandie ; et, à ce moment même, le président eut l’idée de faire l’appel des origines : « Toi, d’où viens-tu ? Et toi ? » J’entends des noms traverser la fumée des cigarettes : « Rouen, Caen, Honfleur ». Quelqu’un dit simplement : « Mon aïeul accompagnait Champlain en 1633 ». Les voix se turent, pendant que la musique modulait un dernier vers :