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AU PAYS DE LA DÉCOUVERTE

toute seule dans l’immense vaisseau, sans accompagnement, lointaine et sûre, celle de René Filiatrault qui chante l’Ave Maria, de Théodore Dubois. Puis le quatuor, pressé dans le chœur, épaule à épaule, le regard un peu intimidé, les voix unies comme en un faisceau, donne le Panis Angelicus d’un auteur inconnu. Les mots portés par les sons montent vers la voûte et retombent sur nous pour nous pénétrer jusqu’au cœur qui se fait reconnaissant. Ainsi, l’entrée à Paris des Alouettes fut une prière.

Au Jardin des Tuileries, le triomphe populaire. Un « orchestre symphonique — je cite le programme — composé d’artistes musiciens victimes de la musique mécanique » intercale Lalo, Massenet, Bizet, Delibes, Saint-Saëns, dans nos modestes chansons canadiennes : Gai lon la, D’où viens-tu bergère ? Vive la Canadienne, Ô Canada. C’est la nuit, au Théâtre de verdure, en plein air sous les quinquets. La foule écoute, étonnée, ces mots revenus vivants du fond des siècles et qui font écho à sa langue, un écho affaibli, dévié parfois, mais si troublant. Elle crie « Bravo ! Encore » ! comme sait faire la foule française, si largement hospitalière à l’émotion. Nos bûcherons-chanteurs, un peu pâles sous la lumière artificielle, sourient et recommencent. Quelle franchise dans notre orgueil !

À Bagatelle, c’est autre chose. Le théâtre est dressé en plein soleil. Dans le parc, une foule élégante, divisée, volontiers critique, aux antipodes de nos raftmen. Ceux-ci ont à vaincre ces civilisés par une rude simplicité. Je crois qu’ils y ont réussi.