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LE FRONT CONTRE LA VITRE

inconnu, n’étaient les traces des compagnons de Mackenzie, gens de notre sang, et la longue présence de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Là, dans un décor de pierre et de glace où quelques Jésuites avaient jadis pénétré, ils ont, en plein dix-neuvième siècle, recommencé l’histoire religieuse et les travaux de civilisation.

Les coureurs des bois les avaient aussi précédés, comme ceux d’autrefois, ouvrant les routes au négoce, annonçant la venue de la Robe noire et le règne « d’un plus grand qu’eux-mêmes », apprenant aux indigènes la prière des blancs. Où le coureur s’était arrêté, la conversion devenait plus facile ; elle fut presque impossible où il n’avait pas passé.

Les Oblats allaient vers l’Athabaska, puis vers le Mackenzie, s’offrir aux mêmes souffrances, avec la même résignation et le même sourire : « On mangeait du chien, du corbeau, du foutreau, des fois rien du tout : mais pas un de nous, je vous le promets, n’aurait changé de place avec le Schah de Perse ». Ils marchaient, subissant la fatigue des raquettes qui tenaille les hanches et tord le jarret, poussant la traîne de l’estomac ou précédant les traîneaux pour ouvrir la voie aux chiens. Comme les précurseurs, ils ne redoutent rien : ni la soif, la plus cruelle des tortures au milieu des neiges que l’on n’ose pas toucher, ni l’ophtalmie qui brûle les yeux, de toute l’étendue blanche ; ni les nuages de moustiques, « multitude de chanteurs et de suceurs » ; ni la vermine, à laquelle Mgr Clut, le glorieux « évêque pouilleux » de Louis Veuillot, ne s’habitua jamais, ni la famine surtout, qui fait ramasser les miettes