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LE FRONT CONTRE LA VITRE

Le soir, un rayon abondant sur les flots sombres. Une masse en fusion, dont un pan formidable, grandi par la nuit, coule sous le bateau, comme une pâte métallique, tout un pan, incliné d’un coup vers la profondeur, mur mobile et souple. Nuit de rêve, à peine éclairée sous le ciel qui se dégage. L’horizon plus précis semble la terre. L’œil y cherche une lumière qui marque la fin des hommes ou leur recommencement.

Le brouhaha habituel des fins de voyage : concert, dîner du commandant sous les bonnets de papier, vente aux enchères. Celle-ci est conduite par un Américain d’origine hongroise, petit, glabre, l’œil éteint. Il est superbe. Il éveille les générosités les plus insensibles. Il repart vers d’autres sollicitations, sitôt qu’il a mené à bien celle qui s’achève. Il hypnotise. Il fait appel à la loyauté yankee, invoque les étoiles de la bannière nationale. Puis, épuisé, il lance ce mot : The Purser says this is the biggest collection which ever took place on this boat. L’auditoire applaudit à grands traits, satisfait d’un devoir accompli.

Cent cinquante-deux bouteilles de champagne en une soirée, et combien de coquetels ! Certaines femmes boivent plus que les hommes. L’une d’elles a absorbé huit bénédictines, dans des verres à dégustation. Puis, elles se purgent. Et le lendemain, elles sont souriantes, et fraîches ainsi que des enfants.

Bientôt l’arrivée. L’Angleterre mouillée se devine sous la brume. Le temps se lève. Quelques lumières. Elles me sont presque indifférentes. Je