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LES DÉVOYÉS

ou qui vous tuent. Roger avait bien fait de s’affranchir d’une vie ennuyeuse. En ce qui concernait l’étrangeté de l’acte à l’exécution duquel sa promesse la rivait, du moins le paroxysme de l’action en elle-même l’empêcherait peut-être d’aimer jamais plus. Comment supposer qu’ayant sur les lèvres l’arrière-goût de cette poussière, les lèvres d’un autre dussent parvenir à s’y appuyer ? Elle subit cette détresse affreuse voilée dans le crépuscule seulement. Tout le temps qu’il y eût de la flamme devant elle, elle regarda, voulant parcourir jusqu’au bout ce nouveau genre de martyre ; elle mangeait de la douleur ; elle se repliait dans son passé pour en boire davantage. Vaguement elle pensait à ces grandes torturées du paganisme auxquelles il fut donné sur des plages isolées, barbares, d’assister à cette étreignante convulsion de la vie terrestre dans la personne de l’homme qu’elles dévoraient de leurs lascives caresses ; ainsi, cette nature enfermait uniquement pour elle un pareil supplice. Un grand vent d’Est se prit à souffler. — Non, il ne partait pas, ce Roger tant aimé, sur les nuages colorés du matin ; mais au contraire, cette destruction poursuivait son terme sur le fond noir de la nuit, vrai fond d’enfer. Elle songeait à cette sinistre communion avec la cendre, à cet hyménée bizarre dont, quelques jours avant, il lui arrachait la promesse, et son âme, à elle aussi, restait suspendue au fil de la rafale.

Qui donc, parmi les vivants, aurait pu soupçonner qu’en une vallée isolée de la Lombardie Mme de Sérigny était alors perdue à une heure semblable,