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LE SONGE


dure âme chaste et sauvage, soudain, qu’elle pût être troublée par quelque chose qui venait de son esprit à lui, par quelque chose que son esprit avait le pouvoir de faire naître ou de ne pas faire naître, il fut gêné, mécontent, comme si cette merveille corporelle, à dépendre de ce qui ne sortait que d’une intelligence, avait dérogé au plan divin par sa faute.

— D’où me viendra le conseil ?

Distraitement, il caressait de la main des albums épars. Dans l’un d’eux, qu’il entr’ouvrait, il vit l’image d’une forme nue, et son cœur battit, comme il faisait toujours à l’apparition de la chair dévoilée. Et il déploya l’album comme s’ils devaient recevoir de cette fraîcheur humaine un conseil fraternel, tel qu’au milieu des duretés de la nature on va en demander à la naissance des eaux.

Elle comprit le geste et s’assit avec lassitude ; l’art était bien comme la vie : il consolait quand on était heureux. Cependant, appuyant l’album sur le bord de la table, ils penchèrent leurs têtes qui ne se touchaient pas.

A travers les grandes planches d’héliogravure passaient les cavaliers du Parthénon. Ils passaient, tous semblables, tantôt se poussant en une vague, tantôt seuls comme un qui a de la valeur ; on tournait chaque page et ils passaient. Et les petits chevaux se cabraient selon le même rythme, si nerveux et frissonnants et pourtant tellement sages, jusqu’à celui qui lance ses sabots vers le ciel avec une sorte d’exultation paisible ; et les garçons étaient sur leurs dos, « nourris parmi les fleurs », fronts calmes qui se baissent un peu sous la science légère du Silène ; et tandis qu’ils