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LA SŒUR DES VICTOIRES


— Alors, ce n’est pas une question.

— Ah ! fit-elle avec regret, et pourquoi ?

— Parce que je me refuse le droit de vous conseiller aussi longtemps que je vous connaîtrai si mal. On me croit perspicace. On ne sait pas combien je suis aveugle.

— Vous avez à l’égard des hommes une indifférence qui est monstrueuse. Comment feriez-vous l’effort de chercher à les comprendre ?

— C’est vrai, je n’aime que les gens que j’aime, je n’aime pas ceux qui me sont indifférents ; n’est-ce pas que c’est inconcevable ? Mais ceux-là que j’aime le plus, quelles ténèbres ! Ainsi je vois à l’intérieur de vous bien des choses que je juge faciles à saisir, mais, si j’essaye je me heurte aux parois de ce cœur de cristal, comme un oiseau enfermé se tuerait contre la vitre de cette baie en se jetant vers l’apparence du ciel libre.

La grande baie vitrée, d’une seule pièce dans toute la hauteur du salon, dressait entre eux et le Ranelagh un rideau si transparent qu’il en était proprement invisible. On voyait au delà les pelouses de mars, les femmes, les bébés, toutes les gentilles choses, et, dans le groupe des petites filles, ces jeux et ces bourrades qui finissent par des appuiements.

Elle dit :

— D’où me viendra le conseil ?

Soudain, qu’elle, la fille forte, avec ses épaules droites, le casque de sa chevelure, ses mains héroïques qui lançaient le javelot dans le stade, qu’elle, avec le dur visage qui s’était crispé dans le vent de la course, crispé jusqu’à une laideur splendide, avec la