Page:Montherlant - Le Songe.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
LE SONGE


Droite se tenait la fille qui regardait, pure du sourire, un doigt glissé comme signet dans un livre, sans un bijou, sans une bague, avec seulement un bracelet d’ivoire au poignet qui n’était pas grêle ; droite, avec son nez droit, ses cheveux étroitement tordus serrant la tête et couvrant le front, sa bouche un peu dure, ses sourcils un peu froncés, ses yeux graves où l'on croyait voir une âme, et derrière une autre âme, et derrière une autre âme, encore. Et le regard du jeune homme, en croisant celui-là, fut un des plus beaux regards du monde.

Un regard mâle, un noble regard d’homme, chargé d’admiration, de respect, de camaraderie, de gratitude, un regard pareil à une franche poignée de mains, qui ne s’attarde ni ne jouit pas. Platon avait dit : « Un amant est un ami en qui l’on sent quelque chose de divin ». Ce regard définissait celle-ci, sans qu’elle fût une amante : une amie en qui l’on sent quelque chose de divin.

Alban tourna un peu l’image. Sur la couverture du livre soutenu par la main brune, les deux mots du titre resplendirent : Taciti Opera.

« Dominique... Oui, il est bien qu’elle existe. Comme je suis content qu’elle existe ! Ma belle fille, comme tu es satisfaisante ! Quelle joie pour l’esprit ! O invulnérable ! » C’est ainsi qu’il la louait, ému par des sentiments qui sont l’honneur d’un homme. — « Vais-je mourir ? » se demanda-t-il.

« Non, naturellement, je ne peux pas mourir ». L’existence de cette fille le préservait de la mort. « Tout de même ? » Il la regarda encore. Alors une voix se leva, qui ne sortait pas tout à fait de lui, qui