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IL REJETTE LA COURONNE D'ÉPINES


l’ombre verte d’un velours, avec des reflets de chose mouillée qui ruisselle, avec des fendillements verticaux dans l’ivoire qui rappelaient les traînées de sueur et de sang.

Il le regardait. « Pourquoi ta poitrine est-elle ainsi gonflée, comme la nôtre, au stade, quand nous respirons après le 400 mètres ? Est-ce que toi aussi tu es consumé par le travail terrible de ton cœur ? » Bien des fois il y avait appuyé ses lèvres, sur ce Christ, sans trop savoir ce qu’il baisait, si c’était la figure de son Dieu, ou la merveille de l’art, ou seulement la beauté, la douceur et la désirabilité de la matière, si chaleureuse qu’il humerait peut-être autour d’elle un arôme pareil à celui des corps. Il l’avait embrassé, il l’avait nommé Génie de son travail et objet de ses veni creator. Il lui avait demandé davantage de valeur, demandé le pouvoir de créer la phrase secrète qui rapprocherait de son autel « ceux qui nomment Dieu le secret des bois ». Et telle était la disposition du lieu, que, lorsqu’il était à sa table, le jeune homme s’apercevait, sous le geste de ce Christ, réfléchi dans la vitre de sa bibliothèque par le sombre fond des reliures. Et à côté d’eux, suspendu dans l’air, vrai spectre d’un monde refroidi, un diaphane visage féminin, resplendissant d’une mystérieuse blondeur qui rendait l’ombre à ses bords translucide : le marbre rapporté d’Achaïe, mousseux comme la mousse de bière, pailleté comme par ses paillettes le borate de soude, et qui du fond de la pièce venait mettre son image, ainsi qu’une tête se penche sur une épaule, auprès des images d’Alban et de la Croix.

Sur la table était une photographie. Alban la prit, y posa son regard.