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LE SONGE


Et à l’entour étaient les livres, certains ouverts sur des chevalets comme l’Evangile sur l’autel. A l’entour les feuillets, les dieux demi-nus et nus, la solution de chlore pour purifier les marbres antiques, la couverture dont il s’enveloppait les jambes quand il travaillait avec colère, à cinq heures du matin, dans le froid, à la lampe ; et puis la verveine dont il s’humectait le front, les paupières, le cou, les poignets, la table dans le même désordre où elle était hier au soir, quand le sommeil l’avait écrasé, avec ce quelque chose de flétri des endroits où l’on a pensé longtemps et qui n’ont pas su garder la pensée chaude ; sur le mur la tête de taureau, entre deux banderilles dont les fers noirs de vieux sang portaient encore des poils de la brute ; sur le tapis des papiers froissés entourant la corbeille vide, auprès des dictionnaires grecs et latins ; et de ci de là, sur un papier ou contre une coupe, une feuille morte du dernier hiver que le vent avait poussée par la fenêtre ou qu’un chat avait apportée accrochée à sa queue, tel soudain qu’un petit animal dionysiaque. Au-dessus de ce champ de bataille de ses échecs et de ses victoires, plus haut que les choses où l’art avait fait éternel le prodigieux équilibre de la beauté, plus haut que les livres qui depuis l’aube des temps s’étaient allumés l’un l’autre comme des torches, un écorché d’amphithéâtre se dressait. La fleur humaine ! Le réservoir inépuisable ! La musique du monde faite chair ! Arrêtons-nous un instant.

Cependant les yeux d’Alban s’étaient fixés sur un Christ d’ivoire, au milieu de sa table, beau. C’était un Christ Louis XIII encadré de chêne, jaillissant hors