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IL REJETTE LA COURONNE D'ÉPINES


au-dessous, et il vivait au milieu d’elle comme au milieu d’un ruisseau rapide. « Encore une fois je baiserai ton front, à la petite place en haut de la tempe, qui brûle toujours comme si tu pensais ! Encore une fois j’écouterai battre ce quelque chose en toi, comme si tu avais un cœur ! Encore une fois le goût de tes paupières et de tes paumes ! Encore une fois l’odeur gentille de tes cheveux ! » Le brusque excès de sa sensualité lui donnait l’accent de la tendresse et sa gratitude était sans bornes pour la guérisseuse de toutes peines. « O toi qui m’étais si légère ! même quand devant mon désir tu écarquillais tant les yeux que les prunelles ne touchaient plus aux entours, même à l’heure de toute lourdeur, quand l’alcôve de six heures du matin est comme une grande pierre de lune grise et blanche et que si délicieusement nous prêtons main-forte à la mort... »

Son cabinet était au rez-de-chaussée, fenêtres ouvertes : la chambre assaillie par les nuits comme la cabine de vaisseau par la mer. Deux marches montées, il y entra.

Il se vit venir dans la glace, vit ses cheveux ébouriffés par le geste d’y plonger la main dans la méditation, son visage bruni par l’hérédité espagnole, les rides minuscules à ses paupières et dans le cerne un peu gonflé, quelque chose de brûlant et de consumé, la fatigue sans cesse dans ce corps pourtant solide comme du fer, aujourd’hui imbibé par la joie et qui demain vaincrait en ascétisme les plus sobres, de même que l’âme voluptueuse s’était mêlée au peuple et donnée aux soins les plus vulgaires pour exercer sa souplesse et affirmer sa maîtrise sur la vie.