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IL REJETTE LA COURONNE D'ÉPINES


n’était pas la tribune officielle. — « Quelle honte ! Quelle horreur de sottise ! — Mais que puis-je contre cette maladie ? La prééminence m’est indispensable ; rien d’elle ne m’attire ; il va simplement qu’une vie sans elle ne m’est pas concevable. Je ne cherche pas à être heureux ». Il se revoyait, ces soirs où les lectures de l’Histoire Romaine lui montaient proprement à la tête, où il sentait bien que la grandeur de toutes ces choses lui dérangeait le cerveau. Alors ses gestes n’étaient plus assurés, il ne pouvait plus manger, tout le bas de son visage se figeait comme dans la terreur...

Des noms sur un programme, une course... Ah ! à cette heure, si c’eût été une course, il les eût dépassés tous ; si c’eût été une lutte, il les eût étranglés tous, jetés tous disloqués à ses pieds ! Mais que faire contre un Dejoie, un monstrueux mort, qui fait Charlemagne, qui s’en va sa gloire acquise, qui vous enlève toute chance de pouvoir le rabaisser dans l’avenir ? Que faire contre la simplicité de son acte quand soi l’on est à sa table de travail, quand on ne peut lutter contre lui que par une certaine puissance de l’esprit, et des connaissances, et de la mémoire, et du génie ? Les coudes sur la table, tenant dans ses mains sa tête comme un fruit pourri, Alban pressait la chose enveloppée d’os et de cheveux, pas si dure qu’une éponge, tenant pas plus de place qu’une boule de billard, mais seule arme de sa destinée mortelle pour lui permettre de vaincre tous ses pairs. Quand à froid l’on mesure ses limites, il naît un sentiment grand, grave et triste, comme après un échec, et qui fait du bien. Mais lorsqu’il vous semble que votre cerveau se contracte en même temps que vos sourcils pour atteindre