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style, elle construit, elle prépare, elle délimite. Elle ne subit pas sa sensibilité, elle la dirige. Elle a de la méthode, sans raideur. Son style est souple et allongé.

Toutefois, ses romans sont fort inégaux, de même que ses sujets. On a coutume de regarder comme son chef-d’œuvre La Maison du Péché, mais on devrait convenir qu’une erreur de psychologie en vicie la fin. Aussi, préférè-je dans tout son œuvre, et bien qu’elle soit d’une conception moins puissante, la belle Ombre de l’Amour (1909), d’une analyse tendre, fine et forte, qui abonde en descriptions admirables et concises.

Mme Marcelle Tinayre n’a pas de génie, mais elle a un vrai talent.


Bien plus qu’aux parnassiens. Renée Vivien[1] a pris directement aux symbolistes, et elle abuse malheureusement de leur vocabulaire si désuet, comme de leur goÛt de la nuance et de l’estompé, poussé jusqu’à l’effacement. Il faut pourtant lui reconnaître une grâce languide et de la distinction, de l’harmonie, souvent un don heureux d’expression concise, et surtout une résonance profonde de l’âme qui tonifie parfois brusquement ce gris-perle évanescent : Renée Vivien a souffert cruellement de ne pas être comme tout le monde, et, cœur droit et sain, d’habiter un corps perverti, voué aux amitiés suspectes où se meurtrissait sa tendresse ingénue. Son inspiration est donc double : tantôt elle s’enorgueillit d’être celle qui peut s’avouer à elle-même : « L’art délicat du vice occupe tes loisirs », et qui chante « ses bien-aimées » ; tantôt elle soupire : « Mon cœur est las enfin des mauvaises amours », et souffre de se voir mise au pilori. Charles Maurras, pour des raisons littéraires, Jean de Gourmont, pour des raisons psychologiques, ont très bien vu que sa poésie « était plus mystique que sensuelle », et qu’elle avait « l’accent d’une conscience très religieuse, méthodiquement pervertie, mais qui garde la notion du mal moral ». C’est par ce sentiment du péché, très fort chez elle, que Renée Vivien a su trouver des accents durables.

  1. Pauline Tarn, en littérature Renée Vivien, était née à Londres en 1877. Elle savait beaucoup de langues, lisait le grec, voyagea énormément ; elle avait une petite maison à Mytilène, et l’on dit que sur ses derniers jours elle fit appeler un prêtre catholique : par dégoût de la vie, elle s’était laissée mourir de faim, en septembre 1909. — Études et Préludes (1901), Cendres et poussières (1902), Évocations (1905), Flambeaux éteints (1907), Sillages (1908). Posthumes : Dans un Coin de Violettes (1910), Le Vent des Vaisseaux (1910), Haillons (1910).