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LAUS NOCTIS

XXII

LAUS NOCTIS

La nuit, pour rafraîchir la nature embrasée,
De ses cheveux d’ébène exprimant la rosée,
Pose au sommet des monts ses pieds silencieux.

L.

 
Le mystère des nuits exalte les cœurs chastes ;
Ils y sentent s’ouvrir comme un embrassement
Qui, dans l’éternité de ses caresses vastes,
Comble tous les désirs, dompte chaque tourment.

Le parfum de la nuit enivre le cœur tendre ;
La fleur qu’on ne voit pas a des baumes plus forts ;
Tout sens est confondu : l’odorat croit entendre ;
Aux inutiles yeux, tous les contours sont morts.

L’opacité des nuits attire le cœur morne ;
Il y sent l’appeler l’affinité du deuil ;
Et le regard se roule aux épaisseurs sans borne
Des ombres, mieux qu’aux cieux où toujours veille un œil !

Le silence des nuits panse l’âme blessée ;
Des philtres sont penchés des calices émus
Et, vers les abandons de l’amour délaissée,
D’invisibles baisers lentement se sont mus.