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De l’esprit des Lois,

qu’ils vouloient être chrétiens, & bientôt après on les fit brûler lorsqu’ils ne voulurent pas l’être.

Cependant on vit le commerce sortir du sein de la vexation & du désespoir. Les Juifs, proscrits tour-à-tour de chaque pays, trouverent le moyen de sauver leurs effets. Par-là ils rendirent pour jamais leurs retraites fixes ; car tel prince qui voudroit bien se défaire d’eux, ne seroit pas pour cela d’humeur à se défaire de leur argent.

Ils inventerent les lettres[1] de change ; & par ce moyen, le commerce put éluder la violence & se maintenir par-tout ; le négociant le plus riche n’ayant que des biens invisibles, qui pouvoient être envoyés par-tout, & ne laissoient de trace nulle part.

Les théologiens furent obligés de restreindre leurs principes ; & le commerce qu’on avoit violemment lié avec la mauvaise, foi, rentra pour ainsi dire dans le sein de la probité.

  1. On sait que sous Philippe-Auguste & sous Philippe-le-long, les Juifs, chassés de France, se réfugierent en Lombardie ; & que là ils donnerent aux negocians étrangers & aux voyageurs des lettres secrettes sur ceux à qui ils avoient confié leurs effets en France, qui furent acquittées.