les uns veulent que ce dernier vers soit inutile et ne fasse qu’affaiblir ; les autres disent que l’ordre des choses est troublé, et qu’il falloit mettre la rougeur avant les pleurs. Et, moi, je dis que ces deux vers sont admirables et peut-être les plus 5 beaux qu’Ovide ait faits, et que, de quelque manière qu’il les tournât, ils auroient été moins beaux si le poète avoit prévenu l’une ou l’autre de ces critiques.
t. II. 6
Quant à la première, je dirai qu’il y a plusieurs 1o sources de beauté par rapport aux ouvrages d’esprit, qu’il faut bien distinguer, et qu’il ne faut point faire dépendre une pensée d’un genre de beauté lorsqu’elle dépend d’un autre. Il est vrai qu’il y a des occasions où la beauté de la pensée consiste 15 dans la brièveté. Le «Qu’il mourut !> du vieil Horace, le « Moi ! > de Médée, ont une beauté qui dépend de la brièveté, par la raison qu’il s’y agit d’une action forte et d’un moment où l’âme est dans une espèce de transport, et où elle exprime tout en 2o un moment, parce que l’âme semble n’avoir qu’un moment à elle ; parce qu’elle est hors d’elle-même. Le discours doit être impétueux, parce que l’âme est impétueuse. Mais, ici, il s’agit de la douleur de Lucrèce, d’une passion lente et sourde, et d’une 25 passion que l’on décrit, et d’un état de l’âme que l’on peint. Et là, il n’a pas suffi de faire pleurer Lucrèce ; il a fallu la faire rougir. On est trop frappé de ce genre de beauté qui fait qu’on désire que tout finisse en épigramme. Tout ne doit pas finir en 3o épigramme. Ici l’épigramme n’est point dans les