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à croire qu’il n’y a peut-être pas deux opinions universellement reçues par les jurisconsultes.

Il faut beaucoup moins de peines à un juge pour décider la question en elle-même, qu’à débrouiller 5 toutes les autorités qu’on lui cite ; à opposer le fort au foible ; à chercher les raisons qui ont pu déterminer un auteur à donner une décision contraire à celle d’un autre ; de l’autorité qu’un certain auteur doit avoir dans le pays ou dans un autre ; enfin, de la justesse de l’application qu’il en a faite.

Si un théologien payen, en lisant Homère, avoit voulu décider de cette fameuse querelle qui mit l’Asie en cendres, et juger qui avoit raison des Grecs et des Troyens, et qu’il eût dit : « Je n’ai pas un esprit assez profond pour décider cette grande question ; mais il y a des intelligences plus parfaites que la mienne, qui virent cette querelle, dont plusieurs même se mêlèrent de les (sic) accommoder. Voyons ce qu’elles ont pensé. Et, premièrement, si je savois le sentiment de Jupiter, le père et le plus grand des Dieux, je serois bien avancé ; mais, par malheur, il étoit neutre. Mais Junon, la femme et la sœur de Jupiter, et Neptune, frère du même Dieu, étoit (sic) pour les Grecs. Mais on ne peut pas dire que Junon et Neptune se fussent rangés de ce côté-là par un esprit d’équité. N’est-il pas vrai que Junon vouloit se venger de l’affront qui avoit été fait à ses charmes ? et que Neptune, qui ne vouloit pas avoir fait le métier de maçon pour rien, redemandoit ses salaires ? Et d’ailleurs, Mars et Vénus étoient pour les Troyens.